J’imagine
ma ville à une autre époque,
celle
de Marguerite
Où
les femmes et leurs mots étaient brûlés vifs
Mots
maintenant libres sur les murs de cette ville fantôme
Où
plus personne ne lève la tête
Ces
mots qui doivent apparaître sur les écrans pour être lisibles
Je
vous lis,
je
vous entends.
Derrière
ma capuche, je déambule dans ma propre ville à la recherche des mots. Je suis prête
à emprunter d’autres rues et peut-être à me perdre. Je cherche la beauté. Celle
des mots laissés avec une intention particulière.
Je
me dirige vers le pont Dorchester, celui qui sépare Limoilou de Saint-Roch.
J’ai
pris un virage inattendu, je me retrouve à un endroit vaguement familier. Tiens,
c’est nouveau cet immeuble? Une jeune femme aux cheveux bleus attire mon
attention. Elle se retourne vers moi, nous nous relookons, à la fois complices
et amusées. Elle me dévoile une
dentition imparfaite, un anneau est caché sous sa lèvre supérieure. Sur le mur
derrière elle, « FUCK LE PATRIARCAT. » Je hoche la tête, elle se
joint à moi. Nous marchons en silence.
Au
prochain virement, rue de la Reine, nous croisons un jeune couple, l’air
surpris. L’adolescente tient un marqueur vert derrière son dos. Couleur criarde
qui se retrouve sur le mur à sa droite. « JANICK + MANU. » Je leur
souris. Ils se mêlent au « groupe ».
Nous
continuons, à la recherche des mots, ceux qui ne veulent rien dire, ceux qui
veulent tout dire. Nous montons vers le quartier Saint-Jean-Baptiste, par
l’escalier de la Chapelle. Nous reprenons notre souffle sur un banc entre les
deux ; la basse ville et la haute ville. Pourquoi faut-il que le haut soit
si haut? Des propos douteux marquent les briques entre ces deux mondes. Des
phrases nébuleuses, contenant plus de fautes d’orthographe que de mots. Nous
sillonnons les ruelles entre le haut et le bas. Des grabuges qui nous font
parfois grimacer, parfois rire.
Un
vieil homme se tient droit et immobile. Un complet d’une autre époque, d’une
autre vie, trahit son âge. Il se fond dans le mur de briques de la rue
Tourelle. Nous lisons en silence : « FUCK LE TRAVAIL, JE VEUX VOIR
MA FAMILLE. » L’homme se retourne, le regard vide. D’un pas calculé,
presque automatique, il rejoint nos rangs.
Nous
revenons au quartier Limoilou, 4e rue. Une femme rousse tient une jeune fille
par la main. Mêmes traits, même éphélide. Derrière elles, de la peinture encore
fraîche. « PAS UNE DE PLUS. » La tête basse, elles se joignent à notre échantillon de société.
J’étais
seule, nous sommes maintenant sept. Nous pourrions être beaucoup plus. Ces
personnages habitent les murs de ma ville. Qu’est-ce qu’une ville sans ceux
qui y ont laissé leur trace?
Je
me retourne, plus personne n’est là
Ils m’habitent
leurs
histoires, leurs messages, leurs voix
Nous
ne sommes maintenant qu’un, hanté par la même question :
comment
a-t-on pu laisser une femme et ses mots brûler?
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