Attendre un courant d'air



Tu attends. Tu as l’habitude d’attendre. Tu en éprouves même un certain plaisir. Les textures t’enchantent, les couleurs, les voix, les mots que les gens autour prononcent. Ton attention s’éprend de la moindre petite perturbation de l’air, de chacun des mouvements autour de toi, des êtres, de leurs effluves, de leurs histoires, de leurs manières. Tu n’es pas de nature lunatique et pourtant, une simple salle d’attente a le pouvoir de te plonger dans les plus immenses des cratères lunaires, de te plonger dans un monde de souvenirs et de sensations. Tu te rappelles l’effet de l’eau sur ta peau froide lors des bains de minuit. Tu entends presque encore le rythme égal des grillons qui sonnent les minutes dans l’herbe devant la maison. Tu réussis à revoir les couleurs des couvertures qui vous attendent à l’arrière de la voiture, fades sous les lampadaires jaunes de la route. Il faut de la patience pour attendre, et ça, tu en as. Racler des parcelles de souvenirs, ça rend patient n’importe quel amoureux du passé. On t’a souvent dit que la nostalgie donne un teint spécial à ton visage, un teint subtil, doux, qui rendrait tous les temps morts tolérables. On t’a dit bien des choses, fait bien des promesses, pliées en origamis, laissées ici et là sur le bord d’un lit. On t’a dit que tu es si belle que le temps lui-même t’attendrait. Tu n’as pas la même notion du temps que celui qui t’a dit ça, ça, c’est vrai.

Aujourd’hui, tu attends. Tu attends comme tu l’attends souvent. Avec ferveur, avec amour. Tu attends avec lenteur que le temps se remette à rouler. Il y a longtemps que la salle d’attente n’a pas été aussi attrayante. Elle t’appelle parce qu’elle est un rappel que bientôt, tout ce temps d’attente aura été entendu. Aujourd’hui, tu es rayonnante. Tu attends dynamiquement, tes sens sont en émois, ils ne savent plus quels souvenirs ramener à eux pour faire durer le plaisir encore un peu. Pour faire durer le plaisir avant d’être occupés à explorer les courbes, les lignes, les creux d’autres stimulations à deux. Ton sourire est figé et ton plaisir se sait. Les visages que tu croises n’ont pourtant jamais le reflet que tu recherches. 

Vers la fin de la journée, les bains de minuit, les grillons et les couvertures de banquette arrière ne t’offrent plus aucune nostalgie. L’harmonie des souvenirs cesse de jouer et ta joie d’attendre se tait. Ta jolie robe jaune fleurie prend des teintes de gris. Tu as attendu l’autobus. Tu as attendu le train. Tu as attendu l’avion. Tu as attendu le taxi. Pour finalement l’attendre dans ton lit. 

Il n’est jamais venu et ta patience t’a fui. 

Désormais les attentes, ce sera non, merci.


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