La course imaginaire


 

    De ma place, je peux voir à l’extérieur du terminus. Au coin de la rue, j’aperçois une jeune femme, début trentaine, qui se dirige vers la porte. Sa démarche, lente, mais assurée, démontre qu’elle n’en est pas à son premier voyage. Ses vêtements, d’allures sobres, se confondent dans le paysage. Avant d’entrer dans le terminus, elle s’arrête, jette un coup d’œil derrière son épaule, prend une bouchée de churro et entre. Devant la billetterie, le tableau des départs, elle le consulte et se procure un ticket. Tarabuco sera inévitablement sa destination, il n’y a qu’un bus ce soir. Du regard, elle scrute les lieux afin d’y repérer une place. Elle me voit, me sourit et va s’assoir tout au fond, près des toilettes. De son sac, elle sort un calepin, avale la dernière bouchée de son churro, ajuste ses lunettes et commence à écrire. Discrètement, je l’observe et me questionne sur sa présence ici. D’où vient-elle ? Où va-t-elle ? 

Et je l’imagine plus tôt devant son hostal, attendant son taxi, se remémorant une dernière fois cette magnifique ville qu’est, Sucre, quand une Toyota brinquebalante s’est immobilisée tout près d’elle. Un bref regard avec le conducteur lui a confirmé qu’il s’agissait bien de son taxi.  

De nature curieuse, elle a pris place à l’avant pour ne rien manquer du spectacle. Les yeux grands ouverts, émerveillée par cette fourmilière aux mille couleurs, elle a savouré chaque instant. 

La suspension de la bagnole, l’état lamentable de la route, combinée à une conduite chaotique ont testé les nerfs de la passagère. Après ce parcours rocambolesque, la voilà arrivée au terminus central. À la vue du taxi, des vendeurs de babioles se sont précipités dans sa direction. Séparée par la frontière invisible créée par la vitre du véhicule, la voyageuse leur a fait signe, en hochant la tête de gauche à droite, que ; No gracias no quiro comprar regalo, comida, chiclets. NADA!

Elle s’est habituée, elle qui a sillonné l’Amérique du Sud depuis trois mois. La globe-trotteuse a compris qu’elle est perçue comme un guichet ATM. Elle a détourné le regard et a su se faire oublier. 

Le chauffeur l’a ensuite déposée loin des racoleurs. Dehors, une agréable odeur de nourriture flottait dans l’air. Au coin de la rue, une femme, coiffée d’un chapeau haut de forme, vêtue de jupes aux couleurs festives, cuisinait de délicieux churros

Son butin en main, satisfaite de son achat, la gourmande est reparti vers le terminus. Pour y accéder, elle a dû franchir une porte qui avait subi les assauts des chauffeurs trop pressés ou maladroits. De l’autre côté, la salle d’attente, qui ressemblait plus à un entrepôt et dans laquelle patientait une foule bigarrée. L’étrangère, aux cheveux blonds, probablement suédoise, n’est pas passée inaperçue. Billet en main, la touriste a repéré une place, s’y est installée, a ouvert son sac, a sorti son calepin et a commencé à écrire.


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