L’ange au visage grave

 

 

La salle d’attente de la gare de Ste-Foy vibrait de bruits et de mouvements en ce vendredi soir. À leur arrivée dans ce hall, les passagers s’assoyaient et s’installaient pour guetter l’heure du départ. Sur un mur, une horloge de grande envergure. Les aiguilles gardaient leur routine sans s’essouffler, insensible à la fébrilité ambiante. Une régularité froide et monotone pour rythmer le temps. Des passagers anonymes, des gens dans le chemin de leur destinée, des heures à la couleur de leur vie.


Dans cette diversité de voyageurs, rien ne retenait mon attention et je flânais d’un sourire à un sourire ennuyé, puis de yeux plongés dans la lecture à des yeux mobiles d’impatience, d'airs inquiets à des airs d'une normalité banale.

Mon regard s’est fixé sur un visage. Une femme, assise sur le bord de son siège, une petite valise collée à ses pieds, attendait le train. Je ne pouvais plus détacher mes yeux de son minois si délicat. J’avais l’impression de connaître cette femme ou mieux, de la reconnaître. Devais-je la saluer? J’hésitais, retenue dans mon élan par son regard éteint, vide mais je demeurais captive, fascinée par cette présence toute de noir vêtue. Elle ne me voyait pas, absorbée par d’autres horizons invisibles à ma vue. Ses pensées voguaient ailleurs. J'étais intriguée.

La femme avait un visage fermé à la vie. Elle se tenait le corps bloqué en une verticalité statufiée. J’en ressentais une douleur dans mes articulations. Les traits de son visage exprimaient en même temps la souffrance, la tristesse, la résignation, la peur, la gravité d'une situation . Yeux cernés, paupières gonflées. Aucun maquillage, même mal appliqué, n'aurait tracé une telle rougeur sur le bord des cils. Manque de sommeil? Pleurs abondants? Un portrait de mater dolorosa au visage émacié et aux longs cheveux noirs.

Elle inspirait la pitié. J’aurais pu me lever et la serrer dans mes bras pour la réconforter, comme le fait une mère prête à consoler sans poser de question. Quel sort l’attendait à destination? Bonheur ou désenchantement ? J’étais curieuse de sa vie. J’aurais aimé briser son silence.

Un employé cracha dans un micro des mots aux sonorités spectrales. Aussitôt le bruit strident du sifflet du train rebondit au loin, sur les piliers des ponts. Spontanément, le mouvement rapide des passagers se dirigea vers le quai extérieur.

Dans un mouvement brusque, la dame en noir se leva, heurta la valise qui s'écrasa sur le sol en s'ouvrant. Des sous-vêtements rouge passion s'étalèrent à la vue de tous. À la hâte, elle ramassa ses effets et dans un long cri, aussi strident que le cri du train, elle s'enfuit en courant vers la sortie, les joues lavées par des larmes bruyantes.

Là, j'ai su pourquoi je croyais la connaître. 

Elle ressemblait au portrait de l'ange au visage grave  du poster accroché dans mon bureau.




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