Le vrai du faux



Printemps 2004. Mon amoureux et moi sommes de passage au détroit de Gibraltar. Nous venons d’explorer le sud de l’Espagne et nous nous dirigeons vers le Maroc. Nous prenons une journée pour visiter le rocher de Gibraltar et ses célèbres grottes. À notre arrivée, nous sommes charmés par la présence de nombreux singes. Les macaques de barbarie affichent un air tantôt mignon, tantôt boudeur. Leurs comportements, se rapprochant de ceux de l’humain, nous fascinent et nous amusent. Nous sortons la caméra pour immortaliser leurs minois craquants, tant nous sommes attendris devant eux. Profitant d’un moment d’inattention, un primate arrache notre sac de chips et se réfugie dans un arbre pour s’en délecter tranquillement. Avec ses doigts agiles, il saisit et déguste une croustille à la fois. Nous restons médusés face à son geste.

            Mon conjoint, passionné des animaux, souhaite me prendre en photo à côté d’un singe. Je m’assois à plusieurs pieds de distance, mais il insiste pour que je m’approche davantage. Je demeure prudente, ce sont des bêtes sauvages. À son tour, il s’avance dangereusement du macaque, rompant sa bulle d’intimité. Je le préviens, mais il n’en fait qu’à sa tête. Je suis trop stressée, selon ses dires. Il se rapproche encore plus et tente de persuader l’animal de monter sur son épaule. Un guide l’avertit immédiatement : inutile d’insister, le singe grimpera sur lui uniquement s’il le désire. Au même moment, le primate mord l’épaule de mon amoureux, lui laissant une lésion en forme de V inversé. Le sang coule le long de son bras. Prise de panique, je l’imagine déjà porteur de la rage. Je cherche à le convaincre de désinfecter sa plaie avec de l’eau et du savon, mais il demeure nonchalant. Son inconscience m’exaspère. Je crains pour sa santé, et du même coup, la mienne. Je me précipite sur le guide pour m’informer des dangers.

D’un air sérieux, celui-ci me lance : soyez attentive aux symptômes, si votre ami se balance aux lampadaires et dévore des bananes, il se transformera en singe !

*

            Printemps 2015. Mon conjoint et moi séjournons à l’hôtel Herbst Berlin, en Allemagne. Nous souhaitons profiter de la journée pour découvrir la fameuse Alexanderplatz. Le moyen le plus facile de s’y rendre demeure le métro. Nous marchons jusqu’à la station la plus proche, soit Altstadt Spandau. Je laisse mon amoureux déchiffrer le plan du sous-terrain, n’ayant aucun sens de l’orientation ni talent pour lire des cartes. Il m’assure qu’il connait le chemin et je lui accorde toute ma confiance. Un train se présente en gare et nous embarquons à bord. Je repère un banc libre au fond et m’assois, tandis que Dave demeure debout.

            Au fil des arrêts, le convoi se remplit considérablement. Je me sens à l’étroit et une boule se forme dans mon estomac. Je déteste les espaces bondés, j’ai l’impression de manquer d’air, d’être prise au piège. Une odeur de transpiration effleure mes narines et instantanément, la nausée m’assaille. Je prends de grandes respirations profondes pour garder mon calme. Après une trentaine de minutes, j’entends Dave me lancer : Annie, c’est ici ! Je me lève pour sortir, un type imposant bloque mon passage. J’essaie de le contourner, mais une barrière humaine m’empêche de quitter le wagon. Soudainement, les portes se referment et je me trouve coincée à l’intérieur, tandis que mon amoureux m’attend sur le quai. Une bouffée de chaleur monte en moi et mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je voudrais communiquer avec lui, donner des indications, mais le train est déjà en route. J’essaie de maitriser mon sentiment de panique pour réfléchir le plus froidement possible. Nous ne possédons aucun cellulaire. J’ignore complètement ses intentions. Les questions fusent dans ma tête. Dois-je débarquer au prochain arrêt ? Ou plutôt le rejoindre à destination. En même temps, je n’ai aucune idée du trajet à prendre. Quelques minutes plus tard, j’atteins la station suivante. Je décide de sortir et d’attendre à cet endroit. Je patiente, je patiente… je me mets à douter. Puis, un autre train arrive en gare et j’aperçois une silhouette familière. Je lâche un profond soupir de soulagement.


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