Voyage, voyage…






Je survole le quartier de mon enfance. 

Ma rue Quincampoix n'existe plus. La vraie, celle de l'après-guerre, celle qu'on montre dans les films. La voilà endimanchée, mise au goût du jour. Choisie par les bobos, elle respire le snobisme d'un quartier à la mode. 


Ne cherchez plus les effluves qui montaient des caves transformées en mûrisseries de bananes, le fumet entêtant des fromages pourtant si bons, la puanteur des détritus en décomposition jonchant le ventre de Paris, l'odeur putride des viandes, la fraîcheur forte et iodée des poissons. Senteurs mélangées nauséabondes. La parfumerie s'était installée le plus loin possible de toutes ces nuisances olfactives des Halles. Bouquets délicats de brillantine, de poudre de riz et de parfums renommés, dès le seuil.

Ne cherchez plus la voix cassée du clochard vautré sur le trottoir, la ritournelle de la chanteuse des rues et le son des pièces de monnaie jetées par les fenêtres pour la remercier d'un instant de bonheur, le tintement de la cloche du rémouleur tirant sa charrette-atelier, le cri strident du vitrier offrant ses services de remplacement de carreaux brisés.

Ne cherchez plus les prostituées du coin de la rue de Venise. Aimables avec tout le monde, affectueuses avec les jeunes enfants qui passaient devant elles chaque jour

Ne cherchez plus les façades aux murs lépreux de ma rue. Ravalées, restaurées, soignées avec amour, elles étalent la splendeur de leur origine. Les portes cochères, aux boiseries remises à neuf, pourraient accueillir les carrosses et les voitures de poste tirées par des chevaux. 

Au numéro 60, ma maison a perdu son âme. Tous mes souvenirs sont tombés sous le pic des démolisseurs. Ils ont évidé l'immeuble, en sauvegardant la façade élégante du XVIIIème et l'escalier aux larges marches de bois et à la rampe en fer forgé ancienne. Les balcons sont les mêmes et pourtant je ne les reconnais pas. Un travail de chirurgie plastique déforme ma vision. Des frissons de déception courent le long de mon dos.


Mes souvenirs? Je les garde dans le nid douillet de ma mémoire. 

Prenez un siège. Je vais vous les conter…




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