Instant d'inattention / Soleil méditerranéen

 



Instant d’inattention

L’air japonais a la faculté de remplir chaque parcelle de mon corps d’une grande dose de sérotonine. En ce mardi matin, je suis exténuée et excitée comme une puce : pour me rendre à un terrain de volleyball en plein air dans la province d’Iwate, il a fallu se lever à cinq heures du matin. Nous partons du centre de Tokyo et un long voyage en train nous attend, mon père et moi. Ça ne me réussit pas car je passe la durée du trajet à roupiller contre son épaule, bercée par les secousses du train et les murmures des passagers. Lorsque nous arrivons, je bondis hors du wagon et fonce sur place, mitraillant le terrain de volley et la rivière Yukiya sous tous les angles avec mon téléphone.  

Certes, comparé à la Skytree ou au passage piéton de Shibuya, il n’y a rien de bien impressionnant: un carré d’herbe mal coupé, des branches qui jouent le rôle du filet de volley, des murets en pierre tout autour couverts de mousse, ce n’est pas l’endroit le plus glamour. Peu importe, je suis aux anges.  

Une fois mon excitation calmée, je retrouve mon père, resté en retrait, et lui mets sous le nez les photos que j’ai prises.

-                     Elle est pas mal celle-là hein! Ça valait le coup de se lever tôt. Tu penses qu’il faut en envoyer une à maman?

-                    すみません、あなたは誰ですか[1]

Je fige un instant et lève le nez de l’écran. Un homme inconnu au bataillon me dévisage en souriant légèrement. Mon visage s’enflamme; je mets à profit mon apprentissage des formules de politesses pour m’excuser abondamment avec une prononciation instable. Mon père, le vrai cette fois, vient à ma rencontre tandis que je m’incline respectueusement. L’inconnu secoue ses mains pour m’assurer qu’il n’y a pas mort d’homme. Je lance un dernier « 本当にごめん。[2]» et m’éclipse en entrainant mon père par le bras, les joues en feu.

Je trouve refuge au Furudate Noodle Shop; ça me permet d’ignorer momentanément les provocations moqueuses de mon cher papa et de retrouver une température faciale dans les normes.

 

 

 


Soleil méditerranéen

Il fait chaud en Croatie. Mes épaules cuisent à petit feu tandis que la partie inférieure de mon corps barbote dans la piscine vide pour enfant de l’hôtel. Mon esprit de gamine de huit ans s’imagine que je suis une sirène. Allongée sur le ventre, je me laisse guider par des dauphins et des baleines inventés de toute pièce. Je plonge ma tête dans l’eau et tente de leur parler; des bulles sortent de ma bouche et je manque de boire la tasse.

Je sors la tête de l’eau et mon monde sous-marin imaginaire disparait en un claquement de doigts. De tous côtés, des bambins croates s’agitent, m’aspergent et me poussent. Je me fais ballottée comme une poupée de chiffon un court moment. Puis je prends sur moi et décide de me carapater direction le bassin des adultes, là où mes parents font trempette tout en me surveillant.

Je me lève et m’apprête à m’enfuir quand je vois une jeune fille s’adresser à moi dans un langage que je ne parle pas. Devant ma tête de poisson frit, elle change de stratégie et opte pour l’anglais. Elle me demande mon prénom. Je lui donne même s’il ne faut pas parler aux inconnus.

-                 Hello Lina! Would you like to join us? We’re going to play some games in the water for an hour or so.

Elle ponctue son charabia par un sourire mielleux. Mortifiée, je baragouine une excuse mi anglaise mi française avec un accent à couper au couteau. Maudit gènes français.

-                 Hum… No, I need to retourner vers my mom. Sorry madame.

Je cours le long de la piscine alors que c’est interdit pour rejoindre le bassin des grands. Mes parents, qui ont entendu l’échange, demandent avec un sourire en coin si Lina voudrait manger une glace. Lina répond que son prénom n’a pas changé miraculeusement en cinq minutes. En revanche, Léna veut bien une glace pour le goûter.

 

 

 

 

 



[1] Sumimasen, anatahadaredesu ka? (excusez-moi, qui êtes-vous?)

[2] Hontōni gomen. (je suis vraiment désolé)

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