Le souffle




À peine venais-je de m’asseoir que je commençai à écrire. On aurait dit qu’une force véhémente s’emparait de moi, de mon corps, mes mains, mes pensées. Il s’agissait sans doute d’un désir qui demandait puissamment à renaître, car depuis quelques heures, tout au plus, le gouvernement avait donné le feu vert à la réouverture des frontières et c’est à cet endroit même que je pouvais ressentir toute la recrudescence de mon aspiration.

Enfin, j’étais où je me devais d’être : sur un banc d’aéroport. Ainsi, dans mon journal de voyage, la première page s’écrivait comme si le souffle de tous les courants terrestres qui oxygénaient la vie, prenait la mienne pour cible et me fiait leur verbe.


Il changea sa posture soudainement. Il regarda à sa droite ; ses affaires s’y trouvaient. Il tendit le bras vers son sac pour sortir un aiguise-crayon, ce qui le mena à observer le tissu sur son épaule, puis son bras, puis sa main...

 Il se remit à écrire.


Lacets serrés sur des bottes de marche neuves, pantalons longs résistants, t-shirt d’une teinte sombre. Barbe et cheveux bruns courts. Grand, jeune, bien en forme pour marcher, courir, nager, traverser des rivières, escalader des montagnes. Partenaire de voyage : sac à dos minimaliste. À l’intérieur : possessions nécessaires pour des kilomètres et des kilomètres en vue de la circonférence grandiose de l’inconnu.


C’était l’aube, l’heure des premiers départs depuis la cessation des vols en raison de la pandémie. Il n’y avait personne pour le remarquer, personne sauf moi, l’hôtesse de l’air masquée et surprise, déjà, d’avoir un passager dans la salle — le soir d’avant à peine, on levait le confinement et pour la plupart des gens, l’idée de voyager semblait, sans doute, encore bien trop dangereuse. Or, subtilement, tout au fond, je l’observais depuis tantôt avec curiosité en ajustant mon microphone.

Dehors, les lumières orange clignotaient en perdant de leur vigueur et l’on sentait le bâtiment de l’aéroport craquer sous la force des vents. Les vitres des corridors oscillaient comme des feuilles de plexiglas. Malgré les sifflements bruyants à l’extérieur, on entendait au plafond de la salle d’attente, un son qui tentait de percer la grisaille, un son radiophonique d’une voix féminine. Elle énumérait les consignes de sécurité :

...ter à la maison le plus possi... ;

Évi... rassemblements non essentiels ;

Éviter les contacts phy... les ...onnes les plus à risques ;

Maintenez une distance de deux...


Un bruit moderne coupa l’énumération :

Biiing dooong

Les passagers pour le vol Air Canada AC 864 en direction de Zurich sont priés d’approcher le quai d’embarquement.


Il leva la tête, interpellé, puis ferma son journal, où j’aime imaginer qu’il venait d’écrire le préambule d’un nouveau livre ou la poursuite haletante de son admirable épopée.


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