Lettre aux prisonniers de ce monde

 


Chers prisonniers,

Je ne me révolterai pas de vos situations. Je ne feindrai pas de douces compassions et de belles pensées. Je n’ai peut-être pas de cœur, mais tout de même, je ne plongerai pas dans la condescendance.

Je suis blanc, je suis un homme, je suis beau, je suis canadien, je suis français, je suis riche, je suis éduqué, je suis sain, je suis libre. Je suis un oisillon, le monde entier est mon nid et la vie me nourrit tout cuit dans le bec. Je n’ai pas à me plaindre, m’a-t-on enseigné.

La réalité étant, je ne peux pas me plaindre. Lorsqu’on vit aussi fortuné que moi, la liberté de protester est sanctionnée par les moins nantis. « Quel égoïsme! Quelle insensibilité! Essaye donc de te placer dans les souliers des autres! » Ont-ils, eux, essayer les miens? Non, mais lorsque l’humain déplumé est cloué sur terre, l’oiseau volant dans le lointain paraît toujours privilégié.

Je ne chausse qu’une pointure, qu’une paire, des Converses de taille dix. Je le sais, je ne marcherai jamais dans d’autres souliers. Parfois, cependant, j’essaye les sandales de mon ami, lorsque la paresse me pèse de lacer les miens et que je sors dehors pour un bref moment. Parfois, je vole les bottes de pluie à ma coloc, lorsqu’il pleut. Mes pieds y sont serrés, mais je tolère.

La tolérance. On a normalisé la liberté d’expression avant d’autoriser la liberté de pensée. Et tous ont aveuglément gobé ce nouveau droit acquis tel une coupe empoisonnée dont les toxines suscitent la haine, l’intimidation, l’ostracisation, l’emprisonnement et l’exil. Pas seulement du marteau des autorités, mais autant des paroles cruelles des gens ordinaires. Car en fin de compte, les fonctionnaires sont aussi des gens ordinaires.

La liberté de l’un nuit à celle de l’autre. Ce n’est pas pour rien que les hauts fonctionnaires sont des êtres narcissiques, égoïstes, assoiffés de pouvoir. Ils sont prêts à placer leur liberté, leur bien-être, avant ceux des autres. L’opposé de ce qu’un gouvernement devrait être. Les gouvernements ont acquis des droits donnés par une entité inférieure qui ne possédait pas ces tels droits pour commencer. Seul un président dans une nation de présidents peut être libre. L’anarchie.

On manifeste dans les rues pour plus de droits, pour l’égalité, la liberté, et insultons les « méchants » de nos maisons : les racistes, les pédophiles, les misogynes, les misandres, etc. Tout relate de la subjectivité, et malheureusement, le narcissisme piétine le monde. La fin ne justifie pas les moyens. De la considération! Que tout orgueilleux ouvre son esprit à un monde plus grand que sa perception et admette que sa réalité pourrait – et fort probablement est-ce le cas – déroger de l’absolu. Mais l’homme n’est pas qu’être de raison, il est aussi être sensible, émotif et susceptible. Nous sommes parmi les plus fragiles du règne animal.

Derrière les barreaux, on se sent emprisonné, aliéné. Vérité étant, la cage a simplement rapetissée. La Liberté n’existe pas. Les barreaux sont partout autour de nous. Je ne me souviens pas m’être fait transpercer, pourtant, j’ai des barreaux dans les yeux, des barreaux à la bouche. Nous sommes tous crucifiés à ce monde. À des lois naturelles qui transcendent notre condition. C’est normal. C’est plus grand que nous. Mais à des lois humaines qui nous aliènent, ça, nous pouvons nous battre.

Chers prisonniers, je ne comprendrai jamais vos peines, vos accablements. Toutefois, je vis également, différemment, l’emprisonnement. Nos combats ne se rejoignent pas, mais nos guerres ne sont qu’une. Laissons nos sangs se mélanger et tacher les drapeaux de ce monde.

 

Un autre derrière les barreaux

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