Empanadas

 


        Chacun dans son hamac, sous les cocotiers du camping Don Tito, à Màncora, dans le nord du Pérou, tout près de l’équateur. On roulait des clopes sans filtres pour cacher l’appétit sans fin qui vrombissait dans nos estomacs. Mon voisin de tente était imprévisible ; il se fâchait si quelqu’un lui achetait la mauvaise bière, par contre, il partageait toujours sa bière. Il était aimable, d’une façon ou d’une autre. La relation que j’avais avec Gabriel, mon voisin vénézuélien, faisait preuve d’une symbiose assez particulière, tout de même efficace.     

          Pour moi, il représentait une forme de protection ainsi que d’un pont culturel. Lorsqu’on est blanc il n’est pas rare de payer deux à quatre fois le prix régulier dans les marchés péruviens, les locaux profitent de notre ignorance pour vider notre portefeuille, tout à fait compréhensible. J’étais avec un latino qui, connaissait les prix et les produits au marché, alors je ne me faisais pas enfirouaper, j’apprenais sur des ingrédients exotiques et comment les cuisiner en plus, les gens me parlaient directement en espagnol, ce qui me rapprochait d’eux. Sans oublier que Gabriel avait été chef dans un restaurant pendant trois ans, avant la crise économique au Venezuela.     

          Pour Gabriel, je représentais probablement la sécurité financière qu’il n’avait pas. À chaque fois que nous allions au marché, il ne déboursait que deux ou trois soles péruviennes alors que nous achetions pour quinze soles de nourriture. J’étais heureux de pouvoir acheter le reste puisque ça me revenait beaucoup moins cher qu’y aller seul ou avec d’autres blancs. Cette journée-là, sous les cocotiers, nous avions décidé d’aller au marché central. La mission était de cuisiner de empanadas avec de la farine de maïs, un ingrédient typique des régions équatoriales d’Amérique latine qui m’avais toujours fasciné. Les courses ont dû prendre deux heures. Il fallait d’abord acheter le poulet, chez le boucher qui vendait supposément la meilleure volaille en ville. Ensuite, nous avons cherché LE kiosque à sauces et épice pendant vingt minutes dans l’immense marché, pour arriver à un petit monsieur assis sur une poche de riz. Il dormait, la joue accotée sur sa canne. Gab l’a réveillé pour lui acheter des sachets de sauce maison. Notre dernier arrêt était dans la section des légumes et par la suite on est rentrés au camping pour cuisiner. J’ai commencé un feu et Gabriel s’occupait de la préparation de tous les ingrédients. 

À chaque étape, il m’appelait afin de montrer comment il les coupait, dans quel sens, quelle taille, avec le comment et le pourquoi, comme dans une émission de cuisine. Nous avons fait les empanadas ; de grandes tortillas de maïs que nous replions sur eux-mêmes, remplis de poulet, en utilisant un sac de plastique déchiré au lieu de Saran-wrap. Notre repas dans l’huile bouillante, nous avons fumé un énorme joint, sans tabac, pour stimuler davantage notre appétit. Je ne me souviens même plus du goût exact de ces empanadas-là, je sais qu’elles étaient succulentes et que nous avions investi toute une journée dans leur préparation.

Commentaires