Hommage à Karl Fauché

 






Hommage à Karl Fauché 

 

Les cheveux couettés, les cernes profonds, je suis en chemin vers mon bureau quand j’aperçois une tache bien pansue, écrasée sur le mur menant aux conteneurs des restos qui opèrent en dessous de mon local. C’était pas là la semaine passée ça! J’avance dans la ruelle. Des lettres, du orange, du blanc. C’est drôle, ça s’agence parfaitement avec la rouille du compacteur à déchet. Ça me tente. Je cours me chercher une chaise de camping dans mon char pis je reviens m’installer en face. Je retrace ce que j’observe dans mon cahier en espérant mieux saisir. Un « A », un « R », le reste est flou.

̶         J’peux t’aider ?

Je fais le saut, la porte des cuisines claque derrière moi.

̶         Euh, pas tant non.

Le dude sourit, envoie deux sacs de composte dans la digéreuse. Je change d’avis.

̶         Ben, tu peux peut-être m’aider finalement. Sais-tu c’qui est écrit là?

Je lui pointe la tache de peinture.

̶         Karf.

̶         Karf?

̶         Oui, Karl Fauché.

̶         Tu l’connais?

Ses lèvres s’étirent vers ses oreilles, ses yeux rejoignent ses souliers.

̶         Oui assez bien. On a travaillé ensemble.

Ma curiosité s’allume en même temps que sa clope. Je hausse les sourcils. Ça l’amuse.

̶         Tu veux savoir quoi?

̶         Je sais pas. J’écris. Inspire-moi.

Là, il rit franchement, se prête au jeu.

̶         Ahhh, Karf! C’tait un putain de cuisinier. Un gars brillant, intense, plein de fougue. Drôle comme pas permis. Y’é arrivé icitte ça doit faire cinq ans. C’tait un flo, à peine 20 ans. Y v’nait de Percé. Y’a suivi une fille, Sarah.

Il prend une pause, tire une puff. Son regard suit la fumée de sa cigarette, vers le ciel.

̶         Sarah c’tait une soie, mais faut pas s’imaginer qu’était molle là, non. A l’avait tout un caractère pour s’armurer le grand cœur. Disons qu’a l’avait pas eu facile dans vie, son père c’tait un méchant croche pis sa mère une bonne cloche. Mais elle, c’tait une battante, pis a s’est battu ; contre son pervers de père, contre la misère, contre le cancer. Mais, a pouvait pas gagner à chaque fois en! On l’a enterrée y’a deux ans.

Il soupire, nouveau regard en haut.

̶         Karf s’en ait jamais remis. Y s’est mis à boire. Comme un truck. Ça dégradait de jour en jour. Un bon moment donné y’a juste perdu connaissance en plein milieu d’la cuisine, BANG! Y s’est frappé la tête ben comme faut sur le passe-plats. Boss a pas eu le choix d’le kick out. C’tait dangereux, pis on s’mentira pas, y l’aimait ben le p’tit gars, mais y’avait pas envie de s’mettre à payer d’la CSST pour ses « niaiseries ».  

Le cuisinier gronde, secoue la tête.

̶         Si c’tait pas d’ça, peut-être que…

Il suspend sa phrase, me prive de la fin. Je veux savoir.

̶         Y’é rendu où?

Pupilles à pupilles, il me répond :

̶         À l’angle d’la montée Saint-Odile pis d’la rue Passereaux.

̶         Le cimetière…

Il sourit, écrase sa clope.

̶         En espérant t’avoir inspiré!

Sur le seuil de la porte, il se retourne, contemple son œuvre, fait un clin d’œil à Karf, puis referme derrière lui.    






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