L'inconnu

         






   Je l’avais vu sortir du Jardin Villemin plus d’une fois. Et, plus d’une fois, je l’avais aperçu s’installer aux bords du canal Saint-Martin.

 

            Il était toujours vêtu de la même façon : un T-shirt imprimé dissimulé sous son perfecto en cuirette, auxquels il ajoutait, par temps froid, un bonnet de laine noir. 

 

Il s’assoyait en demi-tailleur et effleurait du bout de sa semelle les ridules de l’eau. Il posait toujours près de lui son coffret de guitare. Il l’ouvrait, sans jamais la sortir. Il récupérait plutôt un petit calepin rouge aux coins arrondis par le temps.

 

Il observait.

Quelques minutes.

Quelques heures. 

 

Il notait, et son feutre n’arrêtait pas. Il se baladait de page en page en gribouillant çà et là. J’imaginais autour de lui un tourbillon de paroles, d’odeurs, de sons, d’images et de bruits. Un tourbillon qui achevait toujours sa course sur la fine pointe de son crayon. Tout ce qui était capté était inscrit. 

 

Vers la fin, je pouvais le voir relever la tête vers les nuages, une étincelle dans l’œil. Il avait trouvé son inspiration et, selon mon imagination, remerciait quelqu’un. 

 

Après quoi, il se relevait, récupérait l’entièreté de ses effets et se dirigeait vers la Passerelle Bichat. 

 

Lorsqu’il arrivait à son pied, je le perdais de vue.

 

Je n’arrivais jamais à apercevoir ce qu’il inscrivait sur les pages de son calepin et jamais je ne lui avais adressé la parole. J’étais curieux, sans plus. Mais, j’aimais imaginer qui il était. Un artiste méconnu s’inspirant de tout et de rien. Un musicien qui gagnerait à être connu. Un guitariste qui trimballe dans sa musique une panoplie de sentiments de haute volée.




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