On y était

 




           On y était. Tu avais mis la table. Au sens figuré bien sûr. Comme disait ma mère, les petites assiettes dans les grandes. L’argenterie et toutes les autres fantaisies avaient été déployées. Tu y avais mis l’effort afin d’amoindrir le mal. Le restaurant chic. La grande soirée. On ne rit pas. Je n’ai rien vu venir et pourtant… Depuis des mois, je savais que tout tirait à sa fin. Pourquoi avoir choisi notre jour d’anniversaire pour m’annoncer que tes sentiments pour moi n’étaient plus au rendez-vous? Ce soir, la saveur acidulée du citron se déversait dans celle de mon cœur. 

            Nous étions tous deux attablés devant un plat que ni toi ni moi, n’avait le goût de toucher. Mes pétoncles jubilaient dans leur beurre. Une sauce demi-glace nappait ton contre-filet. Tout comme nos cœurs tout baignait dans son jus et cela depuis trop longtemps. 

            Ton plat et le mien n’étaient plus ceux du moment. On avait fait le tour de notre banquet et plus rien ne chatouillait nos papilles. Nous étions des plats réchauffés l’un pour l’autre à l’image d’un Swanson des années 50. Fade et insipide. 

            Qu’avons-nous fait, ou qu’avons-nous oublié de faire? 

            J’ai omis de touiller le contenu de notre casserole sur le feu. Tu as laissé surir notre lait sur le comptoir. Notre soufflé qui s’était maintenu léger et joufflu durant dix ans s’est affaissé. La vaisselle est sale maintenant, je ne lave plus et tu n’essuies plus. 

            La recette de notre bonheur s’est perdue dans le désordre de nos vies. C’est ce soir que nous fermons le livre. Mon sel et ton poivre ne pimenteront plus jamais notre existence à deux. Nous avons perdu l’appétit l’un de l’autre. 

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