Retrouvailles au parfum de charbon de bois

 

C’est presque beauf à dire mais, dans ma famille, réunion familiale estivale rime avec apéro et barbecue. Lorsque l’horloge indique 18 heures, on verse le pastis dans les verres à pieds, on rajoute de l’eau et le liquide jaune comme l’or prend une couleur blanchâtre. Si on me demande mon avis, ce n’est pas apetissant mais, d’aussi loin que je me souvienne, les adultes ont toujours ingurgité cet alcool de cette façon lors de retrouvailles.

Le charbon s’embrase peu à peu sous la grille du barbecue portatif; ça nous laisse amplement le temps de papoter.

-          Léna, montre-nous comment on parle au Canada! 

Je n’ai pas de talent d’imitatrice et surtout, je n’ai pas pris l’accent québécois. Lorsque je m’exécute, je m’excuse mentalement auprès de la région du Québec. Ma famille est bien gentille de se contenter d’un « câlisse de tabarnak »; après tout, mon vocabulaire ne s’étend pas beaucoup plus loin.

-          Tu t’es trouvé un copain? Un beau petit québécois peut-être? À moins que tu ne sois tombé sur un français! 

Je m’étouffe avec un morceau de quiche et crache le contenu de mes poumons. Tout mais pas les questions clichées!

-          Non, je suis toujours célibataire tonton.

-          Pourtant, il va être temps de te marier ma fille!

J’ai entendu tellement de « ma fille » depuis le début de la soirée que j’ai l’impression d’avoir dix parents différents. Je suis sa nièce, pas sa progéniture. J’approuve vaguement d’un signe de tête et lance un repli stratégique près de la table au centre de la pièce où je me saoule à coup de jus de pomme.

-          Alors ma belle, comment ça se passe la vie canadienne?

Une autre cousine et je ne me rappelle même plus de son nom. C’est ça d’avoir de la parenté éloignée, on ne retient jamais les prénoms. Je marmonne un semblant de réponse et avale un feuilleté à la saucisse pour faire passer le malaise. Pourquoi le charbon prend autant de temps à s’enflammer?

-          Oh mais ne sois pas gênée! Tu sais, j’ai changé tes couches quand tu avais un an.

Super, j’ai vraiment envie de parler de matières fécales alors que l’on s’apprête à se remplir la panse!

-          T’es mignonne à être toute timide mais faut pas avoir peur de moi, je ne vais pas te manger!

Ah, plus besoin du charbon finalement. Mon visage chauffe tellement, on peut faire cuire un œuf sur mon front alors pourquoi pas des côtelettes tant qu’on y est. C’est la goutte qui fait déborder le gâteau voire la cerise sur le vase. J’emporte avec moi un sachet de chips et fonce sur la terrasse, à la belle étoile, le temps que ma tête arrête d’émettre autant de chaleur qu’un four.

Je reviens dans la salle une fois ma timidité contrôlée. Une dizaine d’assiettes remplies à ras-bord trônent sur la table, toute ma famille est assise sur les chaises, le soleil projette son halo orangé à travers les fenêtres.

-          Ah, tu es là Léna! Viens, on va entamer la première entrée.

Ah c’est vrai, le menu de ce soir est long comme le bras : hors d’œuvres, gougères, thon à la moutarde, salade, côtelettes, brochettes, lapin en sauce, gratin dauphinois, légumes du jardin, pâtes fraîches, yaourt, fromage, brownies à la noisette, moelleux au chocolat, gâteau à la coco et tarte aux fraises. Ça en prendra des allers-retours chez le boulanger pour tout évacuer. Malgré tous les regards de l’assistance braqués sur moi et les questions qui affluent de nouveau, je prends place en souriant. C’est bon d’être de retour à la maison.



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