Tête coupante






 Le couteau tombe. Je suis couché en l’air, perpendiculaire à tout. Il tombe et sépare deux choses, il est plus grand que ma tête et dépasse d’une courte planche à découper. Il est trop proche, comme une idée. J’ai peur de me faire mal dessus.

Le monde pivote à 90 degrés comme un cube qui roule et il y a un sapin. Il y a une fille avec une robe rose. C’est un parc. Elle et l’arbre se tiennent côte à côte comme s’ils étaient de bons copains, ou comme s’ils pensaient à la même chose. Une voix : « T’es-tu capable de méditer pi de penser à rien même si je fais ça? Garde les yeux fermés, ne bouge pas ». Je pense à la courbure de la route derrière des paupières closes, à l’arbre dans lequel je pourrais grimper. Cet endroit est un souvenir. Je pensais que je ne m’en rappelais plus. J’étais certain de ne plus me rappeler de la couleur de sa robe. C’est un mauvais souvenir. Je ne peux pas me concentrer quand j’y pense. 

C’est un cours de poésie, que l’on déroule par la pensée. Des filons d’or s’entrecroisent autours d’un arbre, blanc et effeuillé, qui se dresse à l’envers sur du papier jauni. Je pose une question et quelqu’un me crie quelque chose en allemand, une fourche défonce le papier, et l’arbre meurt. 

Je suis assis devant un bureau, dans une salle de cours de l’aile F du cégep Sainte-Foy. Il n’y a personne, c’est silence. J’écoute religieusement un cours qui n’a pas lieu. Impossible de me lever. Je suis assis devant la porte. Je m’imagine bien l’homme armé entrer et me fusiller en premier, par défaut, parce qu’il n’y a personne d’autre. Rien ne se passe. Je regrette simplement de m’être assis là.

C’est cette maison aux Iles-de-la-Madeleine. Il pleut encore. Je fume une cigarette à l’extérieur, dans une robe de chambre de polar rose. À l’intérieur, il ne se passe rien. Les lumières sont allumées, mais tamisées. Je devine les cinq filles qui y sont, autrefois rieuses et dansant en déshabillés de satin, elles sont maintenant recouvertes de visages froids. Je les devine mais je ne peux pas les voir. On ne peut voir que les ombres qui les suivent et les creux qu’elles forment dans les divans lorsqu’elles s’y assoient. Il faut que je change d’endroit, mais j’en suis incapable. La rêverie se mélange aux souvenirs. Dans l’air plane une forme de douceur, mais tout est empoisonné du goût des choses à venir. Je tombe dans les souvenirs, les endroits se décomposent et s’entremêlent. Le salon, la galerie, la voiture. Je penses que j’aimerais revoir Laurie, je ne sais pas si j’ai son numéro de téléphone, je ne sais pas comment elle va, on lui a peut-être fait mal ce soir-là, je ne le saurai jamais, je me suis enfuit, je me vois caché dans la voiture, tournant sur moi-même comme une perdrix fusillée, je ne voulais pas savoir ce qui se passait dans la maison, je ne veux encore pas savoir, je ne peux pas tolérer leur présence, je m’imagine les voitures qui arrivent dans l’entrée de la maison, mes mains mouillées par la pluie, mes mains tenant une guitare, comme un chevreuil dans la lumière des phares, je m’entends dire qu’ils se sont trompés de place, de s’en aller, j’ouvre les yeux, je n’arrive plus à respirer.

Je n’aurais jamais dû quitter ma chaise


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