Depuis des années, il ne bouge pas. Les gens tambourinent leurs pieds autour de lui, fourmilière bien rodée. L’attente reste la meilleure option ici.
Observer
et attendre. Attendre et observer.
Jusqu’à
ce que le vent l’oblige à bouger. Un rythme s’empare alors de lui, il s’agite,
il danse, une progression de mouvements pour démontrer son agacement ou son enthousiasme;
dévoiler un sourire, malgré les tablettes qui le surplombent, malgré ce lieu qu’il
habite, malgré la vitre qui entoure son collet, le soleil, l’horloge et les
appels de départs qui résonnent. Il garde la tête bien haute, au-dessus de tout
ce qui foisonne, tout ce qui se brise. Tant d’années à vouloir grimper plus
haut, il n’arrive de nulle part et n’ira pas ailleurs. Il stagne là. Il stagne
à défaut d’être, à défaut d’animer une silhouette autre.
Contracter
ses désirs en lui pour se propulser vers le ciel, mais il n’est pas à l’aéroport.
Il s’est enraciné dans une gare. Il est soupiré par la terre un peu plus chaque
jour. Bourgeonnement. Il se répète en ramification pour s’entourer de branches,
les faire craquer, les laisser toucher au sol, s’abandonner en morceaux et
toujours se taire.
Le
sifflement des freins, un rictus par-ci, une risette par-là, tout le monde
crispe le visage sauf lui. Un sans visage. Les bruits n’existent que pour les
oreilles. Vibration de l’air.
La
sagesse d’un fruit. Il se décline certes, mais ne s’incline plus. Traversé par
le temps, sept cents années, sans comprendre la naissance des ruines. Il se
renouvelle de toutes les générations. Transiter vers son intérieur pour mieux
étouffer son extérieur. Sa fatigue se fragmente et s’évanouit. Il s’épaissit
devant tous les piétons agiles, tous anonymes. Chandail à la taille, une femme
débarque du train versant des larmes sur le pavé gris. Un homme aux pas lents
s’approche en resserrant sa ceinture, si maigre qu’il pourrait en faire trois
tours.
Un chien renifle les chaussures des
marcheurs.
Un couple s’unit en fermant les yeux.
Le
visage bouillant, une enfant explose de rage.
Des oiseaux chantent «
tukī-hī-hō-shī-hoi-hoi ».
Le cadavre d’une araignée se fait piétiner.
Le
jeu de la cachette émiette le temps.
Une
valse disperse les corps.
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