Vert-de-gris

    






Assise sur l’une des chaises droites du terminal, elle se balance doucement d’une jambe à l’autre. Cela fait plusieurs dizaines de minutes qu’elle attend, mais polie, elle ne fait pas les cent pas comme bien des voyageurs ou des familles impatientes, pas plus qu’elle ne va bombarder la caissière de questions auxquelles elle sait qu’elle n’obtiendra aucune réponse. À la place, elle continue d’offrir son sourire le plus rassurant aux inconnus qui s’installent sur le siège en face d’elle et qui repartent discrètement quelques minutes après leur arrivée, leur valise à roulettes derrière eux.

            Jamais son sourire ne s’efface. Jamais, ne serait-ce qu’une seule seconde, son expression ne trahit la question qui s’impose dans son esprit depuis qu’elle a reçu l’appel téléphonique de son frère ce matin : « Mais qu’est-ce que je fous ici ? »

            Ses vêtements ne laissent que très peu paraître l’heure matinale à laquelle la sonnerie l’a tirée du réveil ; propres, mais confortables, son kangourou et ses pantalons en coton sont adaptés aux nombreuses heures qu’elle a passée dans la voiture. Ses cheveux noirs, trop courts, tentent d’entrer du mieux qu’ils peuvent dans son petit élastique et son visage blême n’est pas maquillé. Si cela n’avait pas été urgent, elle aurait probablement pris la peine de souligner ses yeux verts qui, chaque fois qu’elle lève les coins de sa bouche, se ferment presque pour ne laisser que deux fines bandes de cils. À ses pieds, un sac à bandoulière contient le peu d’effets personnels qu’elle s’est accordée le droit d’amener ; brosse à dents, sous-vêtements, chaussettes et chandails de rechange. « L’essentiel. Ne prends que l’essentiel. » s’était-elle répétée ce matin, à la hâte. 

Le menton sur son poing, elle tourne la tête pour observer, à travers les murs-fenêtres, un autobus voyageur entrer dans le stationnement et entamer des manœuvres difficiles afin de s’installer parallèlement au mur de briques de la bâtisse. Le gris du ciel, de l’asphalte, des trottoirs, de la rue, des murs, des rampes d’acier et des panneaux de la gare la change de son environnement naturel et serein de la Beauce. Là-bas, le vert domine depuis les feuilles des arbres jusqu’à la mousse qui s’infiltre de plus en plus chaque printemps entre les pierres de son entrée. Toutefois, la palette urbaine lui rappelle la chambre de son frère qu’il avait, plus jeune, transformé en donjon à l’aide de papier-peint.

Elle relit pour une vingt-troisième fois son billet, puis s’assure que sa destination concorde avec l’écran au-dessus de sa tête : 8h15 – Départ vers New York. Elle se lève lentement. Elle ne sourit plus. Elle s’imagine serrer son frère dans ses bras après cinq longues années de séparation. Peu lui importe, finalement, la raison pour laquelle il l’a tirée du lit presqu’en pleine nuit. Elle fait quelques pas et pousse la porte menant à l’extérieur. Son sourire est revenu.





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