La mochila

 


La mochila

Ignorant pourquoi, en septembre dernier, j’ai vagabondé sur les chemins de Saint-Jacques, en Espagne. Je suis partie, voilà tout.

Tu pars sans aucune intention. Eh bien. Déjà tu te trompes. Personne ne marche 1000 kilomètres rien que pour le fun. Tu te dis peut-être que tu es différent des autres? Mais non, on a tous nos raisons, aussi minimes ou inconnues sont-elles. Parce que c’est long 1000 kilomètres avec un backpack rempli d’insécurités et d’appréhensions. Sans le savoir, tu penses que tu vas revenir de là comme un nouvel être humain avec une sagesse apparentée à celle de bouddha lui-même. Deuxième erreur.

Je n’avais pas vraiment fait de recherche ou de préparation avant de partir j’avais lu le pèlerin de Compostelle de Paulo Coelho et la fois où… j’ai suivi les flèches jaunes d’Amélie Dubois. Deux livres complètement différents. À la suite de ces lectures, j’avais rempli mon sac comme si j’allais traverser le nord du Canada, exagérant. J’avais oublié que l’Europe était civilisée.

 

*

 

Nous louons notre espace sur terre. Nous sommes qu’une fraction de seconde. Se créant un chez-soi pour l’abandonner la minute suivante. Tout est temporaire. Tout est éphémère. Nous empruntons un corps pour nous déplacer quelque temps. Des grains de sel dans l’échelle de l’existence. Pourtant nous pensons être grands, puissants. Notre temps ici est tellement rapide qu’un clin d’œil suffit à nous faire disparaître. Que restera-t-il de tous ces meubles que nous accumulons le temps d’une vie humaine pour combler notre sentiment de vide? Je n’ai pas envie d’une vie clouée à même le sol.  Je rêve d’ailes, de grandes ailes qui me permettent de voler loin, d’explorer les terres et les contrées sauvages. Je veux marcher jusqu’à ce que mes pieds brûlent. Je veux être avant que mon corps me soit arraché. Avant l’expiration de ma location.


* 


Plusieurs personnages ont croisé ma route à Compostelle. Chacun possédait dans son sac une raison de marcher. Je pense à Mindas qui courait presque, une bière et une cigarette à la main, comme s’il souhaitait battre un record mondial. Je pense à Harvey et Éric, deux retraités qui se retrouvaient chaque année sur les chemins pour contrer la solitude de leurs vies respectives. J’étais jalouse d'eux. Moi aussi je voulais savoir pourquoi je marchais.

Certains pèlerins semblaient avoir toujours été pèlerin, ils étaient comme ces flèches jaunes dissimulées un peu partout sur les arbres, sous les bancs, gravés aux briques pour éviter que nous perdions de vue le chemin. Je me demandais si en arrivant à Saint-Jacques ils ne se retournaient pas pour recommencer leur périple, comme une boucle sans fin. C’était le cas de Steven. Tous le connaissaient ou avaient entendu parler de lui. Le plus marginal des marginaux des chemins de Saint-Jacques, le gourou, le philosophe, l’âme de Compostelle. Ma rencontre avec lui avait été des plus particulières. J’étais avec Régine, une Française légèrement coincée, mais passionnante avec qui j’avais fait connaissance à ma deuxième semaine de pèlerinage. Nous nous étions retrouvées la veille, dans la ville d’Oviedo. Nous savourions une coupe de vino blanco sur une terrasse, les bottes et les chaussettes enfin retirées après une journée fâcheuse. Sorti de nulle part, Steven s’était joint à nous. Nous savions qu’il marchait également Compostelle. Il avait proposé à Régine de lui masser les pieds, comme ça, sur cette terrasse bondée en plein après-midi. Le plus surprenant c’est qu’elle avait accepté. Son pèlerinage commençait déjà à faire effet sur ses bonnes manières.

Plus tard, j’avais retrouvé Steven. Nous avions partagé un long bout du chemin ensemble. Ce qui m’a le plus marqué, c’est son minuscule sac à dos. Il m’en avait déjà montré le contenu ; une seconde paire de chaussettes, de pantalons, un t-shirt, un crayon, un carnet et un parapluie. Un parapluie? Il m’avait confirmé que c’était pour se protéger du soleil, comme si c’était une évidence. Pour le reste, il répétait sans cesse: the camino provides man. C’était sa philosophie : tout ce dont tu as véritablement besoin, le chemin te l’apportera.

Je pouvais bien croire, mais à quel point ? Son sac était devenu une obsession. Ou plutôt, mon sac de quarante livres l’était devenu. Il fallait que je réduise son contenu. C’était une véritable épopée: me départir de ce que j’avais, car c’était tout ce que j’avais, littéralement. En marchant, dans ma tête, je m’amusais à déconstruire le contenu de mon sac. Qu’est-ce qui n’était pas nécessaire? Je ne pensais pas être matérialiste, pourtant tous mes objets semblaient avoir sa raison d’être. C’était mon scrabble, ça m’occupait, du moins.

J’avais quand même réussi à shipper deux fois du matériel de survie chez moi, à Québec, au plus grand dam de ma pauvre mère lorsqu’elle découvrit le deuxième colis, dans lequel j’avais glissé mon manteau. Crime commis, sous l’influence de l’esprit minimaliste de mon ami. L’automne approchait. La saison des pluies aussi. Je l’ignorais.

Après ce deuxième colis qui m’avait coûté au moins deux semaines de repas du pèlerin – festin comptant trois services accompagnés d’une bouteille de vin – Steven m’avait fait comprendre qu’il n’était pas passé à cet échantillon de backpack du jour au lendemain. Ah non? Il en était à son cinquième chemin. Eh bien. Je n’osais pas l’avouer, par honte, mais j’avais quelques regrets à la suite de cette décision impulsive. J’aurais pu me procurer un nouveau manteau, mais je sentais le besoin de vivre cette leçon plus intensément. En attrapant plusieurs grippes, par exemple.

Je n’étais jamais seule sur les chemins même quand, physiquement, je pensais l’être. Plusieurs personnages m’accompagnaient dans ce pèlerinage. D’abord, les auteurs des livres que j’avais préalablement lus, mais aussi les pèlerins d’hier et d’aujourd’hui. C’est particulier, marcher dans les traces de milliards de vagabonds. Pourquoi marchaient-ils, eux autres? Que ce soit Napoléon des années 1800 ou bien Théo des années 2000, qu’est-ce qui guidait leur pas?

Un jour, j’ai croisé une enfant sur les chemins. Une enfant! Le sourire triomphant dans les pires conditions météorologiques! Un cocktail de festivités nous attendait au sommet de la montagne : une pluie battante et glaciale, un vent puissant qui empêchait de rester droit, le tout saupoudré d’un peu de smog, dût à des feux de forêt.

Vraiment, ça serait le moment idéal pour utiliser ton manteau. Celui adapté à cette situation, celui que tu t’étais procuré spécialement pour ce voyage, celui que tu as renvoyé au Québec. Je dis ça de même.

 J’avais vraiment envie de prendre le prochain lift pour retrouver le confort de mon chez-moi, au Québec. Pensées sombres, justifiables, mais que j’avais finalement refoulées en voyant cette enfant qui portait fièrement sa coquille Saint-Jacques sur son gros sac malgré toutes les intempéries. Si cette petite le pouvait, je le pouvais. J’avais cessé de plaindre l’absence de mon manteau. Sans le savoir, elle était devenue ma Shiva, mon bouddha, ma gourou, Allah, Dieu, name it.

Je ne suis pas croyante, je ne l’ai jamais été, mais il y avait bel et bien quelque chose de mystique sur les chemins. Un poème dit que tant et aussi longtemps que Saint-Jacques veille sur lui, le pèlerin ne connaîtra jamais la misère. Il me semble que dans mes souvenirs ça sonnait plus joli, mais l’essentiel du message est là.

J’ai mes raisons de croire à Saint-Jacques.

Une fois, je le jure, j’ai failli me noyer. Steven et moi étions arrivés sur une plage comme sur une oasis à la fin d’une journée éprouvante. Nous avions décidé de nous baigner. Le courant était particulièrement fort, c'est peu dire ; l’océan a failli nous avaler, lui, moi et notre naïveté commune. Son visage, devenu soudainement craintif, m’avait confirmé qu’on était dans de beaux draps. La suite reste floue, mais nous nous étions retrouvés échoués, et surtout, vivants, sur le sable chaud. À partir de ce moment, tout doute sur la présence de Saint-Jacques avait disparu.

Après tous ces hauts et ces bas, il y a eu ce matin où mes pensées étaient un peu plus légères qu’à l’habitude, ou mes pas semblaient moins lourds, où mon sac et mon corps ne faisaient plus qu’un. Je m’étais réveillée foudroyée par une révélation : j’étais devenue pèlerine. Une transformation avait eu lieu, comme une adolescente qui remarque les traces de la puberté sur son visage.

Tu ne te demandes plus pourquoi tu marches ni ce que tu dois encore retirer de ton sac. En fait, tu constates que ton sac n’est plus lourd du tout. Tu oublies les pourquoi du comment et les comment du pourquoi. Comme après un one night, tu te lèves avec le soleil, remballes tes babioles et quittes finalement cette ville dont tu as déjà oublié le prénom.

La nuit m’avait donné une nouvelle profession. J’étais maintenant marcheuse. Je m’imaginais le métier du marcheur comme celui d’un espion, d’un bandit, d’un cascadeur. Il y avait quelque chose de rebelle, du moins, dans ma tête.

Bien que je n’avais jamais été une grande admiratrice des routines, celle de ma nouvelle occupation m’allait à ravir. J’avais cessé de noter le nom des endroits que je visitais, incapable de les retenir et sachant très bien que j’étais seulement de passage. Je marchais presque toute la journée avec comme seule préoccupation ce que j’allais manger et l’endroit où j’allais me poser pour dormir. Je ramassais une pomme, une figue, une noix de Grenoble sur ma route et m’arrêtais pour noter mes pensées sur un rocher. Je pouvais voir autant de couchers et de levers de soleil que je le souhaitais et quand j’en avais ma claque je ramassais mon sac et je prenais la poudre d'escampette. J’avais aussi un devoir quotidien ; celui de m’assurer tous les soirs de laver mes vêtements pour le lendemain, rien de bien exigeant. Je n’avais aucune notion du temps. Rien et personne ne m’attendait. J’étais libre, complètement libre.

En septembre dernier, j’ai traversé l’Espagne à pied.

En arrivant au kilomètre zéro – Le bout du monde, selon les Européens –

J’étais vis-à-vis l’Atlantique, le plus près que je pouvais être de chez moi.

C’est à ce moment que je me suis fait une promesse;

Le prochain pays que je vais traverser sera le mien.

Celui des quatre saisons, mon pays sauvage.

 

L’appel de la marche m’est revenu. Cette fois-ci, elle sera plus longue. J’ai envie de marcher sur les feuilles d’automne qui tombent, sous les premiers flocons de neiges de l’hiver, sur ceux qui commencent à fondre sous les semelles de mes bottes et sur l’herbe fraîche après la rosée d’un matin d’été. J’ai envie de voir la subtilité des changements de saisons. Être présente lorsque les animaux sortiront de leur hibernation au printemps, complice des premiers bourgeons, les premières floraisons. Remarquer les journées qui raccourcissent pour enfin rallonger. Éprouver la joie d’une journée ensoleillée après plusieurs jours pluvieux. Être émue et surprise par les vices cachés de dame nature. Je veux voir ce qu’on ne prend jamais le temps de voir, retrouver mes sens ; sentir le soleil qui réchauffe ma peau après un long hiver. Apprécier une nuit plus étoilée qu’une autre, épier les oiseaux se faire la cour. Remercier un arbre pour son ombre par une journée de canicule. Toutes ces petites choses, qui sont si grandes quand on y pense.

 

Je pense que j’ai trouvé le sens.




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