Rouge lanterne
J’étais supposé commencer ma session au
début mars, mais la rentrée avait été repoussée à cause d’une certaine Covid-19.
Les dortoirs étaient déserts, gracieuseté des inscriptions d’étudiant.es
chinois.es annulées; une mesure préventive parmi tant d’autres à Taiwan. Le
pays ne rigolait pas avec la pandémie, même si le monde entier avait refusé de
l’écouter.
Un soir, alors que je cuisinais de
succulents ramens, j’ai rencontré Luca, une Allemande hipster avec une âme de
chocolat chaud. La conversation coulait comme de l’eau sur les plumes d’un
canard; étrangement, ça ne ressemblait nullement à une nouvelle amitié, c’était
plutôt comme en déterrer une ancienne. Avant de nous quitter pour nos chambres
respectives, nous nous sommes donné.es rendez-vous le lendemain à la première
heure pour visiter Jiufen Old Street, le district touristique de Taipei.
***
Une heure de bus et un mal de cœur ont
suffi pour se rendre sur place. Les appartements s’entassaient les uns sur les
autres dans le district. Comme celui-ci est situé sur flanc de montagne, nous
devions, pour passer d’une rue à l’autre, emprunter des escaliers étroits qui
se divisaient ensuite en petites ruelle, qui elles débouchaient éventuellement sur
une artère principale. Cela ne nous ennuyait point; se perdre est une preuve de
liberté.
À la nuit tombée, les nombreuses lanternes
traditionnelles chinoises qui peuplaient la ville s’illuminaient; une trâlée de
petites lumières rouges pour nous guider, Luca et moi, à travers ce labyrinthe de
pierres. Nous avons fini par atteindre un petit resto charmant, où nous avons
partagé des shiao long bao, cuits à la vapeur et servis sur un plateau de
bambou. Ajoutez à cela du gingembre et de la sauce soya, et j’avais
l’impression de dépuceler mes papilles gustatives.
Au moment de rentrer, nous avons réalisé que le dernier bus était déjà passé depuis belle lurette. Sous la bénédiction d’une rouge lanterne, nous avons ris du ventre avant d’entamer l’une des plus belles nuits blanches qui nous mènerait jusqu’à la rosée du soleil levant.
Caniche
Les pubs londoniens ne sont plus que
l’ombre d’eux-mêmes, beaucoup trop branchés sur la nouveauté javellisée. La
conformité à l’épuration se répand dans les canalisations.
Les pubs universitaires d’Oxford, par
miracle, ont conservé un certain cachet, mais la communauté étudiante déplace
tellement d’air que j’étouffe. Ah oui, et ça pue le boys club.
Arrivé à Moreton-in-Marsh, là seulement,
le mot cachet a pris tout son sens.
En me promenant à travers les stands du marché extérieur de l’endroit, reconnu
à travers le pays pour son charme traditionnel, j’étanche ma soif de vintage. De vieilles horlogeries, des théières
fleuries et surtout, des livres usagés, couvertures rigides originales. Je
dépense sans calculer le taux de change, histoire d’éviter les remords qui
viendraient saigner la féérie du moment.
L’après-midi entraine avec lui l’achalandage;
trop de gens, trop d’objets. Je dois me réfugier dans mon lieu de prédilection,
le pub. J’entre dans l’un d'eux au hasard; le Bell Inn, qui malgré son nom de chaîne hôtelière un peu moyenne, me
semble particulièrement accueillant.
Je ne m’étais pas trompé; tout près de
l’entrée, un Caniche royal, blanc de la tête aux pattes, est étendu de tout son
long sur le tapis. Inévitablement, je m’arrête pour lui gratter la bedaine. En
discutant avec la barmaid, j’apprends que c’est le chien de la propriétaire; il
se nomme Charlie (une fan de Chaplin). Il a de l’âge, le pitou. Je m’assois à
la table la plus près de lui pour déguster une Guinness. Vous connaissez le
terme soupe-repas? Eh bien la
Guinness est une bière-repas. Une
pinte de ce nectar épais a la consistance d’une tourtière, calvaire. Je la
savoure lentement en faisant le décompte des livres achetés, avec Charlie le
Caniche à mes pieds.
La première fois où mon corps en entier
s’est permis de respirer.
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