Ils ont dit que tu étais « OK », j’imagine qu’il faudrait les croire.
Écris-tu parfois? As-tu du papier? Un crayon? Écris-tu dans ta tête?
Parfois j’écris dans ma tête le soir. Je suis dans mon lit et je regarde le plafond. Je parle à quelqu’un, mais je ne sais pas qui. Je lui dis des choses et mes yeux brillent de toutes mes idées. J’ai hâte au lendemain matin pour coucher sur papier mes pensées. Je suis persuadée qu’elles peuvent changer le monde. Puis je m’endors sans rien noter et le lendemain, j’ai beau me creuser la tête, j’ai tout oublié.
Toi, si tu avais du papier, te lèverais-tu de ton lit pour écrire tes idées tout de suite?
Ta vie est-elle constituée d’une série d’idées révolutionnaires avortées parce qu’on t’a confisqué ton crayon?
Refuses-tu de t’endormir, le soir?
Peut-être que tu t’acharnes à empêcher le sommeil de venir te voler tes idées.
Peut-être que tu n’as pas dormi depuis 2005.
Peut-être que tu pleures, les jours où tu t’endors malgré toi, par faiblesse, et qu’une partie de ta pensée s’enfuit pour toujours.
Ta vie se résume-t-elle à un brouillard de fatigue parsemé de langage? Je t’imagine, épuisé, qui retourne tes phrases dans ta tête sans cesse.
Peut-être que tu les chantes pour t’en rappeler.
Peut-être que quelqu’un te frappe parce que tu as chanté.
Peut-être que tu n’as même plus l’énergie d’avoir des idées.
Ce soir je pourrais me lever au milieu de mes élucubrations nocturnes, prendre un papier, et célébrer. Ce serait célébrer l’existence de toutes mes possibilités afin d’honorer ta patience. Je pourrais me lever et écrire, et peut-être que par hasard, mes mots seraient ceux que tu emploierais aussi, si tu le pouvais. Peut-être que toutes les idées nocturnes sont les mêmes, et qu’en écrivant, je briserais le silence qu’on t’a imposé.
Peut-être que la censure est vaine.
Peut-être que si ceux qui la possédaient profitaient de leur liberté pour coucher sur papier leurs idées de la nuit, le monde serait différent.
Peut-être que dans ce monde tu écrirais sans peur, le stylo bien en vue dans la poche de ta chemise.
Peut-être que si on profitait tous de l’encre quand on l’a sous la main, on arriverait à dormir.
Ce soir j’écris dans ma tête la vie qu’ils t’ont volée. À force de l’écrire je vais m’endormir mais peut-être que quelqu’un la lira un jour et l’écrira aussi, et peut-être qu’à trois, ta vie aura suffisamment de mots pour que tu puisses la vivre.
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