Égarement nasal
Les odeurs dans les gares
de bus. Le fumet de café-croissant-biscuit pour voyageurs-pas-vraiment-affamés-mais-curieux-de-saveurs.
La sciure de bois piquée dans les bottes de travail du gars qui s’en retourne
chez eux, lift payé par la compagnie de truck parce que le sien
est stuck sur le bord de la 20. Le pot-un-peu-trop-pourri dans la salle
de bain de la madame au chapeau rose. Le cuir craqué des bancs usés qui en ont
soutenu des culs trempes en temps de canicule. Vous aurez compris que, quand je
rentre quelque part, je suis du genre à m’accrocher le nez avant les pieds, pis
cette madame-là, j’ai envie de la sentir.
Des sourcils arqués,
sévères, mais pas les yeux. Des habits foncés sur une toile claire. Des joues
rondes superposées à une mâchoire carrée. J’utopise les conflits d’odeurs qui
doivent s’échapper d’elle. J’arrive pas à dire si elle est fruit ou fleur.
Elle s’attrape le
foulard, se le promène entre le cou et les épaules. Ses gestes hésitent. Ses
doigts tremblent légèrement. Ils ont peur de quoi les doigts? S’ils sont assez
habiles, ils sont censés être capables de déjouer mes agressions visuelles.
Tout à coup je comprends. Je comprends de quoi ils ont peur. C’est le parkinson
qui leur fait des travers, qui les zieute, leur envoie des avis ; bientôt, il
va les expulser du centre de contrôle. Je vous dis que c’est malcommode, ça!
Des ouvriers fiables au service du Moi Inc. qui nourrissent
l’entreprise, la nettoient, la torchent depuis, quoi? Cinquante-huit? Soixante
ans? On leur coupe les permissions!
Une percée de lumière lui
traverse l’œil gauche. Du miel, ses iris! Mes narines fantasment le sucre, le
gâteau renversé aux pommes qu’elle devait faire à ses enfants quand ils étaient
jeunes, parce que oui, pas de doute, cette femme-là sent la maman. Elle a les
rides soucieuses de la confrontation régulière. Probablement une maman de
filles.
Elle est assise à côté des
poubelles. Je pourrais me lever, faire semblant d’aller jeter quelque chose. Je
fouille mes poches : une vieille facture de Jean Coutu. Ça fait la job!
Je me fais rebondir les semelles vers le bac bleu.
̶ LES DÉPARTS EN
DIRECTION DE RIVIÈRE-DU-LOUP, RIMOUSKI, GASPÉSIE : EMBARQUEMENT QUAI
NUMÉRO CINQ.
Je suis à mi-chemin quand
la dame au foulard se lève, emportant avec elle ses aromates vers le quai
numéro cinq. Viande! Je la regarde empiler ses pots d’épices sur les marches de
l’autobus, mettre une distance définitive entre mon vicieux plaisir olfactif et
son énigmatique fragrance. Adieu, Mère Nuance! Retourne gâter tes filles de gâteaux à la vanille
et de tartes alléchantes. Va, et pars en paix, loin de ce bandit de
phytothérapeute qui t’a coûté 130$ d’aller-retour.
̶
LES
DÉPARTS EN DIRECTION DE RIVIÈRE-DU-LOUP, RIMOUSKI, GASPÉSIE : EMBARQUEMENT
IMMÉDIAT AU QUAI NUMÉRO 5.
Shit! C’est mon départ ça! Je me caresse
le nez. Bientôt petit, bientôt je satisferai tes désirs.
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