La glace de Josette

Mettons la table : À l’invitation de Josette, nous étions parties à l’aventure visiter son amie malienne dans les pays Dogons, à l’orée du désert sahélien. Le voyage de deux jours, depuis Ouagadougou, s’était déroulé cahincaha dans une bâchée surpeuplée. La route sèche soulevait des volutes de sable et des scorpions rampaient sur le chemin. Au hameau de terre battue, je passais de chocs en surprises, fascinée par ces femmes aussi vaillantes que faméliques, attitrées à toutes les tâches en pleine canicule : allaiter les enfants accrochés à leurs mamelles pendantes, piler le mil, chercher l’eau au puits ou au marigot, amasser le bois, attiser le feu, préparer les repas, lessiver, repriser les pagnes et s’astreindre à toutes les autres obligations domestiques. Après quatre jours passés à admirer ces femmes sous le soleil dardant, prenant conscience de l’insuffisance de nos réserves en eau potable, nous avons commencé à ressentir la soif. Les plaintes, au début réprimées, sont devenues plus lancinantes et insistantes, sous l’effet de nos maux de tête, de la sensation de viscosité dans nos bouches. Pour nous distraire du malaise, Josette s’est mise en frais de me décrire dans le menu détail un impérissable souvenir : son meilleur dessert à vie, savouré chez elle à Lausanne ! 1) Battre D’abord, battre le fer pendant qu’il est chaud et distraire l’amie en lui racontant avec force détails, le souvenir de cet exceptionnel échafaudage glacé, — « le meilleur, le plus chic, le plus savoureux, le plus cher dessert à vie ! » —, présenté par un serveur en livrée, dans une assiette d’argent ciselée, sur une terrasse attenante au lac Léman, dans la douce brise d’un soir tombant. 2) Crémer Ensuite, crémer le souvenir, en ajouter des couches, en doubler les quantités, multiplier les boules de glace, napper de crème Chantilly, pour distraire l’amie de sa soif. 3) Dorer Inventer une meringue, la faire dorer par le serveur en livrée, couronner la montagne de boules glacées d’un miroir ambré, admirer ce fabuleux édifice givré fondre petit à petit, coulant en onctueuses saveurs caramélisées, pralinées, dans le fond de l’assiette argentée. 4) Dresser Dresser dans l’imaginaire toutes ces boules de glace, les faire tenir en équilibre dans la mémoire de l’amie, pour activer ses glandes salivaires, qu’elle glousse de plaisir à l’idée de cet extravagant dessert parfumé ! 5) Fouetter Ensuite, fouetter, fouetter sans relâche les sens de l’amie assoiffée, mousser les saveurs, mêler les couleurs, aérer l’onctuosité des crèmes. 6) Monter en neige Raconter encore le dessert, le faire monter en neige, soustraire l’amie du désert ambiant, lui faire oublier la canicule craquelant sa peau déshydratée, la sècheresse de sa langue épaissie, l’écume blanche au bord de ses lèvres. 7) Glacer Inventer finalement un nom à cette friandise plus que Mont-Blanc, l’associer aux neiges des pics du pays d’origine, évacuer la chaleur suffocante du champ de perception, laisser fondre l’amie dans la fraicheur de ce pharaonique dessert glacé. Avec quel art Josette fit apparaitre ce mirage en plein Sahel, étanchant notre soif quelques instants. Il reste à ce jour le plus succulent dessert que je n’aurai jamais savouré !

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