Aléa
Déjà
trois jours que je roulais. Un panneau de signalisation m’indiqua que j’arriverais
bientôt à Calgary. La fatigue se dessinait autour de mes yeux; peu de sommeil,
trop de caféine. J’étais partie sur un coup de tête dès la fonte des derniers
flocons. L’hiver avait été particulièrement long cette année-là. J’avais hâte
de rejoindre l’Ouest, sans connaître encore la destination où j’allais me poser.
Le
jour commençait à peindre le ciel à l’horizon. Un tableau comme rarement j’avais
été témoin. Une première parcelle de lumière pénétra ma voiture, m’aveuglant
presque, comme si le temps se figeait. Tout doute sur cette décision impulsive
de prendre la route sans aviser personne avait disparu. J’étais exactement où
je devais être à cet instant précis. C’est à ce moment que je l’ai rencontré.
Le
jeune homme était assis sur un banc devant la gare de la grande métropole, le
pouce en l’air, un énorme sac déposé à ses pieds. Le dos courbé, les épaules
rentrées par en dedans, le regard vide, il n’avait pas l’air plus en forme que
moi. Il éveillait ma curiosité. Je me suis surprise à ranger ma Yaris sur le
bord de la route en lui faisant signe de monter.
Je
balayai nerveusement de la main les canettes de Red Bull qui recouvraient le
siège passager au moment même où il déposa son sac sur la banquette arrière.
–
Salut, moi c’est Alex.
–
Anna. Où tu vas?
–
À Whistler.
–
As-tu froid? Chaud? Aimerais-tu que je mette l’air clim? Désolé s’il y a une
odeur, ça doit être mes ramens d’hier…
–
Ça va.
Silence
pesant.
« Bon,
la route va être longue », me suis-je dit, moi qui étais soulagée qu’il se
passe enfin quelque chose. Mon irritation s’évanouit rapidement. Même s’il
parlait peu, sa compagnie me plaisait.
Alex
était vêtu d’un simple t-shirt et d’un jeans délavé malgré la température
encore fraîche du mois de mai. J’éprouvais des difficultés à déterminer son
âge. Je me doutais qu’il faisait partie de ces gens qui ont l’air plus jeunes
qu’ils ne le sont vraiment. Son regard trahissait un vécu que son corps n’avait
pas encore saisit. Il évoqua sa petite sœur, parfois au passé parfois au
présent. Il disait qu’il voulait la rejoindre, mais ne semblait pas pressé.
Nous
avons passé plusieurs heures à discuter en silence. C’est seulement rendu à
Kamloops, en Colombie-Britannique, que je compris que sa sœur avait eu un
accident tragique de ski qui lui avait coûté la vie. Il ne savait pas exactement
ce qu’il allait faire à Whistler. Je soupçonne qu’il ressentait le besoin de
s’y rendre pour comprendre et accepter sa perte, puisqu’il la niait toujours. Je
ne sais pas ce qu’il m’avait pris à cet instant précis, mais je lui ai proposé de
l’accompagner.
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