Madame Samson


 

Comment ça va, Madame Samson ?

— Boaarrffhhh.

Diane peut se compter chanceuse aujourd’hui. Hier, elle n’a eu droit qu’à une moue hautaine de Colette Samson, femme presque aussi amère que le café qu’elle commande au Gueuleton de la Gare à tous les matins.

Gobelet à la main, Madame Samson entreprend sa tournée habituelle. Sans merci, elle tourne le dos à Diane, claque la porte du Gueuleton, remonte le corridor, se racle la gorge, grimace en passant devant Jean-Guy, locataire du hall quand la police n’y est pas. Elle s’arrête devant l’Accommodation, froisse toutes les revues à potins du présentoir sans même en acheter une, et s’assoit enfin devant la porte six. Là commence vraiment sa besogne.

Gaëtane est assise devant sa vitrine, son casque d’écoute sur la tête. « Une autre qui se laisse aller, regardes-y la repousse ! », ricane Madame Samson.

Noémie, la petite nouvelle, n’a pas encore ouvert sa billetterie. « Fainéante ! »

Marc, le concierge, émerge de son placard, une moppe à la main. Le pauvre « insignifiant » n’est pas épargné par son regard rapace.

Lorsque sonne dix heures, Colette change de place, irritée par l’enthousiasme de deux jeunes voyageurs à sacs à dos. Passe un homme d’affaires au costume vulgaire; une professeure d’université, trop vieille pour la longueur de sa jupe; une mère et son flot baveux puis… elle.

Une femme.

Âge moyen.

Cheveux lisses, foncés, séparés au centre et tombant naturellement sur chaque épaule.

Des lunettes noires rectangulaires habillant des yeux bruns, confiants.

Des vêtements neutres, correctement ajustés. Un sac beige, assez grand, posé près d’elle.

Colette entrouvre la bouche, étonnée. Non, vraiment, il n’y a rien à dire.

Juste un visage apaisé, en attente d’un départ.

Décontenancée, Madame Samson, n’arrive pas à détacher ses yeux de la femme. Elle s’efforce de trouver quelque chose, mais rien.

La femme au sourire plein ne remarque pas l’insistance de sa voisine.

Pourtant en Colette tout se bouscule, un répertoire de remarques acerbes ne trouvant pas écho et mourant aussitôt.

« Une autre mère monoparentale avec un divorce sur le dos ! Une endettée oui, une mal-prise qui fait sa fraîche pis qui fuit ses responsabilités pour une fin de semaine à Montréal pendant que son enfant se fait garder par la voisine ! »

La voix intérieure de Madame Samson se brise, son assurance a fui.

« Non, une vieille fille lesbienne frustrée ! Regarde-la donc qui essaye de se faire croire qu’elle vit mieux que les autres avec ses quatre voyages par année. Ma pauvre toi, tu vas mourir toute seule avec ton argent ! »

Un filet de sueur s’écoule du front crispé de la vieille. Qu’advient-il d’elle ? Toujours un mot sur les autres et pourtant, aucun moyen de percer cette femme à jour. Madame Samson, épuisée, s’apprête à baisser les yeux au moment où…

L’inconnue tourne son visage accueillant vers elle.

Un sourire sans intention aucune.

Tremblotante, Madame Samson se lève. Sans doute lui faut-il un autre café.

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