Bagan, Myanmar
J’ai le volant de notre E-Bike entre les mains – vélo électrique qui ressemble drôlement à un scooter. Jo est assise derrière moi. Elle me crie quelque chose du genre va moins vite! J’entends mal à cause de mon casque. On a décidé de retourner voir les temples aux briques rouges du centre de Bagan pour la énième fois de la journée.
Je sens que ça approche, les belles couleurs. J’emprunte un raccourci, soit un champ désertique semé de plusieurs nids de poule. Je m’énerve, j’accélère, je me sens libre. Notre E-Bike arrête soudainement. Le tableau de bord s’éteint. Criss.
J’émets rapidement un plan d’action : pousser le E-Bike jusqu’au temple, profiter du coucher de soleil, gérer le E-Bike après. Jo approuve. Sans plus attendre, on s'exécute. Après beaucoup d'efforts et de sueurs, on passe à la partie trippante de notre plan ; escalader le temple pour jouir de ce spectacle VIP. On s'ouvre une bière, immortalise le moment grâce à mon kodak argentique, et on prend soudainement conscience ; il va faire noir bientôt. On se sent pas mal loser toutes les deux, au beau milieu du désert parmi les pagodes et les temples qui cachent des bouddhas blancs gigantesques. Ces immensités sont impressionnantes en plein jour, mais assez effrayantes à la noirceur. On abandonne le ciel et son tableau pour rejoindre notre problème de transport. On a beau observer la chose sous toutes ses facettes, rien à y faire. Contre toute attente, trois Français croisent notre route. Après de gênantes simagrées, ils s’arrêtent. On explique la situation. Ils nous tapent royalement sur les nerfs à force de rire de notre accent, mais on cache notre irritation, ce sont quand même nos potentiels sauveurs. Il fallait bien que ce soit le plus macho du groupe qui constate le problème, et pour ajouter à notre honte, en moins de trente secondes. Le fil qui alimentait notre E-Bike était tout simplement déconnecté.
L’Argentine
Pour moi l’Argentine, c’est Fredee, Manuel et Keke. Ce trio de petits clowns incarnait tout ce qu’il y avait de plus beau dans la rencontre des cultures. Ils étaient touristes dans leur propre pays. Nous nous étions rencontrés dans une auberge de jeunesse dans la ville de San Rafael. Il commençait à être tard lors de mon arrivée à l’auberge. Je n’avais encore rien mangé de la journée. En défaisant mon sac, j’avais réussi à regrouper des asperges, une canne de haricots et un peu de pain. Mon festin s’annonçait déjà décevant. Fredee s’était approché du maigre contenu de mon sac et grâce à des gestes maladroits j’avais compris qu’il me demandait s’il pouvait se servir. Pourquoi pas ? D’un sourire espiègle, il m’avait ensuite proposé de le suivre jusqu’à la cuisine commune, ou ça sentait déjà le pays et une amitié naissante. Fredee, Manuel et Keke avaient préparé le repas pour tous, en y ajoutant mes ingrédients. Nous étions une dizaine à partager cette bouette de haricots tomatée. Il avait fallu que la dame qui tenait l’auberge vienne nous rappeler le couvre-feu pour mettre fin à nos festivités.
Nous nous étions adoptés, le trio et moi, à la suite de cette soirée. Ils m’avaient fait découvrir leur Argentine, loin des sentiers battus, empruntés normalement par les touristes. Ils m’ont traîné dans les plus beaux racoins du pays ; observer les glaciers, les chutes, les terres volcaniques. Peu d’argent dans nos poches, nous dormions principalement chez les locaux et voyagions en auto-stop. Nous étions partis de San Rafael pour rejoindre Ushuaïa, le bout du monde, la Terre de Feu.
Ils ne parlaient qu’espagnol. Je ne parlais que le français et l’anglais. Nous échangions avec nos yeux, nos sourires et la nourriture. Une famille muette et si bruyante à la fois. Malgré toutes les merveilles que nous avons vues, mes meilleurs souvenirs restent les repas prolongés en soirées à jouer aux cartes en buvant du matte. La bouffe n’avait rien d’extraordinaire, mais elle était réconfortante. Je pense aux empanadas, à la provoleta grillée accompagnée de pain, et à un gâteau sec et fade dont j’ai oublié le nom, qu’on cuisinait tous les soirs. J’essaie parfois de refaire ce dessert banal, chez moi, au Québec. Au plus grand découragement de ma famille qui ne saisit pas le plaisir que j'éprouve à manger cette chose, qui pour eux est sans goût.
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