Du Japon : NAOSHIMA
Il me faudrait quatorze jours de plus. Une journée par kilomètre carré et Naoshima pourrait enfin me boire tout entière. Elle me cacherait dans l’une de ses citrouilles géantes. Ainsi, j’y resterais assise, enfermée dans une portion d’elle, un potiron excentrique.
Les îles m’ont toujours fascinées, mais Naoshima est différente. Ses vibrations me provoquent et me soulèvent. Je m’agite aussi fortement que les ressacs de la mer intérieure de Seto sur ses rives. Le matin, au sortir du lit, je culbute, tant je m’empresse à rejoindre ses plages, ses sculptures et ses architectures extravagantes. Je ne crois pas avoir ressenti une telle euphorie par le passé. Cette île ne s’éveille jamais, mais, dans un calme tyrannique, elle ranime tous ceux qui y séjourne. Elle les sculpte, les transforme, les colore, afin de les faire se parfondre à sa nature. Elle dissimule tout.
Avant Naoshima, je croyais pouvoir nager. En vérité, c’est elle qui m’a appris la flottaison. Elle m’a guidée à travers mes synchronisations abîmées, rien de parfait, mais tout arrive à devenir séduisant. Le poisson dans mon assiette du matin au soir. D’odeurs en saveurs, je constate que je ne sais rien. J’apprends tout avec Naoshima, elle m’apprivoise une minute à la fois, je la goûte et elle me déguste. Quand je marche sur cette île, je disparais à travers chacun de mes pas pour me laisser dériver dans sa nature luxuriante. Tous ceux qui y déambulent s’évaporent en elle, se transforment en Nihon Buyô.
Je le sais, elle me vole de petits fragments de moi, je le sais et je la laisse se servir. Il me plaît de croire que je lui laisse quelque chose.
De l'Islande : AKUREYRI
Je suis engourdi par l’immensité. Les paysages s’affirment avec une telle prestance que je me sens en deuil. En deuil de l’avant.
Le soleil ne m’a jamais accompagnée d’aussi longues heures qu’ici à Akureyri. Au moment de se coucher, il se relève aussitôt. Vers 23h30, il descend derrière les montagnes et réapparaît, ça ne dure que quelques minutes. La noirceur n’a guère le temps de prendre place, ne serait-ce qu’à l’ombre des montagnes.
Akureyri, cette ville dans laquelle les feux de signalisation rouge sont en forme de cœur et le vent en forme de cristaux. Tous les matins me transportent vers le Kaffi Ilmur au centre-ville, situé dans l’une des plus anciennes maisons. Assise sur la terrasse, au sommet de la colline, je guette les deux trolls figés, fatigués, un mâle et une femelle à l’apparence hideuse, aux mille verrues. Enfin, je déguste un Laufabrauð accompagné de saumon fumée, c’est savoureux. Pendant toute la durée de mon séjour, je flâne dans les rues après le déjeuner. Je me rends sur la promenade qui longe le boulevard Strandgata et m’y laisse peindre dans le décor, un paysage incroyable de tristesse et de beauté.
Le fjord Eyjafjörður laisse Akureyri grouiller dans son intimité depuis plus de 500 ans. Je ressens le vertige. Une sensation qui me fait sentir à la fois libre et entière. Sans préambule, je dois reprendre la route 1 afin de me rendre vers l’est à Stöðvarfjörður. Le tour de l’île ne m’attend pas, mais je veux absolument me laisser absorber par les espaces démesurés de ce pays plus grand que nature. Je veux goûter la morue séchée et les beignets aux épices, boire l’eau des sources et m’y baigner, sentir les odeurs de souffre des volcans, admirer les glaciers et caresser les chevaux sauvages.
Je veux la terre de glace, celle qui me coupe le souffle et me happe, celle qui me rapproche de la solitude des trolls.
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