Exercice 1 - Le double jeu

 


Le double jeu

            À tous les passagers du vol 176 d'Air Canada à destination de La Guardia New York. Veuillez prendre note que le vol est retardé de quarante minutes en raison des conditions météorologiques.

            Je ne peux pas croire que cela m'arrive encore une fois! J'imagine la tête de Frank qui m'attend à l'autre bout, trois retards en deux semaines. Et cette réunion prévue en fin d'après-midi. Il ne me le pardonnera jamais.

             Un mouvement de jambes qui s'entrecroisent attire mon attention. Une femme dans la cinquantaine est assise face à moi. Elle dépose avec délicatesse sur le siège à côté d'elle, un grand sac fourre-tout où dépasse un dossier et un livre illustré d un beau paysage marin.

            Elle porte un chandail indigo en coton ouaté de type kangourou que je lui échangerais contre ma blouse inconfortable en rayonne. Le bleu fait ressortir les quelques mèches blanches de ses cheveux qui tombent naturellement sur son cou. Cette couleur accentue la profondeur de son regard et me rappelle mes lointaines vacances en Grèce. Je prends mon petit carnet rouge dans lequel je note mes idées furtives et j'écris: URGENT - DEMANDER À FRANK DES VACANCES.

            Je ne sais pas comment ma voisine peut être détendue en ce moment. Je fixe mes yeux sur elle, car son énergie me calme. Elle dégage une aura de sérénité naturelle. Je remarque que son corps mince et musclé est entraîné à garder longuement des pauses statiques.   

            Elle ferme les yeux l'air de méditer. Je parierais une grosse somme que c'est une professeure de yoga. Elle doit posséder sa propre école. Je suis certaine qu'elle n'a pas besoin de prendre de pilules pour dormir.

            Une sonnerie de téléphone retentit. Ma voisine s'empresse de répondre.

            « Allô Sébastien. Oui ça va bien. Je peux te parler trop longtemps. Je suis toujours à l'aéroport, le vol est retardé. Paraît qu'il neige fort chez vous! Oui, j'ai apporté les partitions. Je pense bien que tu vas aimer. Je t'appelle quand j'arrive. À tantôt. Bye »

            Tout s'explique. Mes yeux se posent sur ses mains aux doigts longs et fins, parfaits pour tapoter et danser sur un piano. Va-t-elle donner un concert dans une salle à New York. Au Metropolitan Opera?  Elle doit être soliste, car autrement l'orchestre au grand complet l'accompagnerait. Joue-t-elle du jazz ou la musique sacrée de Bach?

            Une annonce demande à la passagère Claire Pelletier du vol 176 d'Air Canada de se présenter à la porte d'embarquement 26C. Ma voisine prend ses effets personnels et se dirige d'un pas rapide vers l'agent de la compagnie aérienne. Elle lui sourit en lui tendant un livre, que je reconnais d'emblée. Elle sort un stylo et y appose sa signature.

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