La nostalgie des Maxi Fruits







La nostalgie des Maxi Fruits

 

Je suis chez mes grands-parents. C’est chez moi aussi; avec mes parents, on occupe l’étage au-dessus. J’ai quatre ans peut-être. Je marche sur le petit pont, celui qui passe au-dessus du ruisseau, le ruisseau qui abreuve le puits. L’eau y coule comme on effleure de la soie sur les joues d’un enfant. L’eau fait de moi un garçon à l’esprit tranquille, un esprit fragile qui flotte sur une mer d’eau claire. Naître, grandir, jouer tout près de l’eau sans risquer de s’y noyer parce que trop peu profonde, ce n’est pas ça la vie. Ce n’est pas ça le monde, mais je n’ai pas besoin de le savoir.  

L’air a le goût de poire, les feuilles s’entassent en petits tas et ma grand-mère et moi jouons dedans. Je lui lance des feuilles, elle me court après; je trace des cercles autour du puits, enjambe le ruisseau, tombe sans me faire mal et finalement, elle m’attrape. Ton petit nez coule, qu’elle me dit. Nous rentrons. 

Installé.es à la table de la cuisine, nous partageons des Maxi Fruits aux dattes avec un grand verre de lait chaud. Je l’aime, je le sais. Je suis jeune, mais j’observe les gens. Les visages. La chaleur d’une main sur mon épaule. Nos âmes s’enlacent comme de vieux amis. 

***

En vieillissant, le puits s’est bouché. Mon grand-père l’a condamné, puis enterré. En vieillissant encore un peu plus, le ruisseau s’est asséché, et mon grand-père l’a enterré lui aussi. Mon grand-père enterrait les choses de la cour arrière sans me demander la permission. Je lui en voulais. C’était un bourreau qui changeait la cour arrière en cimetière. Un cimetière n’est pas un endroit adéquat pour élever un enfant. Mes parents et moi avons fini par déménager.

À l’adolescence, j’ai vu mon grand-père enterrer ma grand-mère. Ce n’était plus sa faute. Le bourreau de mon imaginaire essuyait maintenant le ruisseau sur ses joues. Je m’en suis voulu terriblement. Les hommes de son temps n’ont pas l’émotion dénouée, par habitude il l’enroule en eux-mêmes comme l’intestin. Il l’aimait comme moi je l’aimais, il m’aimait comme elle m’aimait.

Je suis un adulte maintenant, mais je refuse le temps. Je porte une montre brisée intentionnellement.

                  Je m’ennuie d’elle. Alors je le retrouve lui, et par nostalgie, nous partageons des Maxi fruits.   




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