Tu montes, montes, toujours plus haut. Rebrousser chemin est impensable, intolérable, alors tu avances même si tu as perdu tes souliers depuis le soixante-dixième étage. Une couche de corne va bientôt se former sous tes pieds. Du moins, tu l’espères. Ton sang souille déjà plusieurs dizaines de marches.
Des
rubans de soie te chatouillent le visage ; le sourire te monte aux lèvres. Tu
t’arrêtes un instant. Surtout, ne regarde pas en bas ; tu as le vertige depuis
ta majorité. Les rubans descendent le long de l’escalier ; une légère brise les
soulève tranquillement. Tu lèves le menton et plisses les yeux, mais tu
n’aperçois pas leur point d’ancrage. Tu tires sur un ruban ; il supporte bien
ton poids. L’idée de grimper s’immisce dans ta tête. Tes cours d’éducation
physique t’ont bien entraînée. Tu te secoues et continues à monter les marches
de béton.
Tu
arrives devant un trou béant ; l’escalier se poursuit plus loin. Tu sautes, en
espérant atteindre l’autre côté. Tu te demandes brièvement si l’escalier finit
quelque part.
Une
personne te dépasse ; ça se produit de temps en temps. Tes pas s’accélèrent sans
que tu t’en rendes compte. Après quelques étages, tu t’écroules à bout de
force. L’ombre d’une silhouette disparaît au-dessus de ta tête. Tu essaies de
te relever sans succès. Tu comptes les minutes, les heures jusqu’à perdre la
notion du temps.
Une
secousse ébranle l’escalier, te sortant de ton mutisme. Tu te remets sur pied,
tapote tes muscles pour les réveiller et tu recommences à monter. Des bruits
angoissants surgissent autour de toi, mais tu restes concentrée sur la
prochaine marche.
Tu
ne penses pas plus loin que le prochain pas, le prochain transfert de poids. Plus
rien d’autre n’a d’importance. Les mots « une autre marche » se répètent dans
ta tête comme un mantra.
Une
sensation froide entre tes orteils : de l’eau glisse sur les marches. Tu
avais oublié la sensation de l’eau. Tu en ramasses au creux de tes mains pour
t’asperger le visage. Tes traits plissés par la concentration s’apaisent. Le
bruit d’une chute rugit quelques étages plus haut.
Tu
espères que l’eau va effacer les traces de ton passage.
Tu
continues à monter.
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