L’espoir la poésie

 


L’espoir, la poésie

 

Je reviens tout juste du vieux continent. Le périple était si long que les dimensions et les distances dans ma chambre — murs et plafond — ont eu le temps de se modifier dans mon esprit. Je manque d’air. Je vais dehors. Mon sac à dos, des bières, mon vélo. Je pédale jusqu’à la terrasse Pierre-Dugua-De-Mons en zigzaguant par-ci, par-là dans les rues du vieux Québec. J’apaise mon angoisse par la vieille architecture, je tente à vrai dire. Me voilà au ciel ouvert de la Terrasse — les pieds dans l’herbe. J’essaie d’inspirer avec profondeur; un sentiment comprime mes poumons. Je laisse mes bras tomber, mon vélo, mon sac, moi-même. Je regarde les nuages devenir un tableau d’aquarelle. C’est affreux. Quelle heure est-il? Je m’en fous. Les nuages passent. C’est bien. Qu’ils passent plus vite serait mieux. Un bout de front se mêle aux nuages. Un bout de front et des yeux, un visage. J’aimerais bien qu’il passe aussi. Hors de ma vue affreuse! (je brûle de dire). Ah! à quoi bon parler. Mais il s’approche encore, se rapproche, il me regarde.

       Tu dors?

       Je… non! Quoi? je dis en me relevant rapidement.

       Je peux m’asseoir?

Je le regarde s’asseoir à côté de moi en le dévisageant d’un air naïf et intrigué. Je lance :

       Pourquoi tu me ressembles.

Je questionne aussitôt mon affirmation. Il la détourne :

       As-tu quelque chose à boire? Une bière peut-être?

       Je… oui.

Fouillant dans mon sac, je sors deux Péché Mortel. Il se réjouit :

       Ah c’est encore ta préférée!

       On se connaît?

       Désolé, je voulais dire ma préférée.

       Pourquoi j’ai l’impression que — que tu es moi?

       Eh bien ton impression est juste. Je suis toi. Plus âgé.

 

 

       Permets-moi de briser ce silence de confusion. Je crois que tu as Capitale de la douleur avec toi dans ton sac, je peux te l’emprunter un moment? J’aimerais m’inspirer, écrire un poème peut-être pendant que je t’entends penser : pourquoi es-tu ici?

Il reprend d’emblée :

       C’est une question légitime… penses-y.

Je le lui prête et il commence à écrire sur un petit carnet Field Notes. La tête me tourne et mon regard se perd dans les montagnes du Cap-Tourmente.

 

Les courbes du fleuve sont maintenant tracées par des lumières; c’est la nuit.

 

       Alors? dit-il d’une voix lente et grave. Tu sais pourquoi je suis ici?

       Je... euh, tu viens… je m’éclaircis la gorge. Tu viens me dire que j’ai tenu bon n’est-ce pas?

Il déchire une page de son carnet, la plie en deux et me la donne.

       Ne l’ouvre pas avant d’avoir mon âge, dit-il en se levant.

       Quel âge as-tu?

 

Il descend la pente vers le château de cartes et se transforme en brise :

       Déplie la feuille et tu sauras.

 

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