Molders[1]
J’étire mes nouveaux bas blancs le plus haut que je peux, jusqu’à ce que je voie la couleur de ma peau à travers les fils. Par-dessus mon coton-ouaté, j’ajoute une veste en jeans dont je remplis les poches avec mon lighter et deux trois canettes de Pabst, essentiels à une soirée entre boys. Nathalie quitte District 31 quelques secondes le temps de me faire son speech de mère :
- Pas de niaiseries, hein Tom ?
Je réponds d’un air faussement offensé : « Mom, de quoi tu parles ? », je passe la porte et, une fois hors de son champ de vision, je tourne ma casquette sur ma tête, la palette vers l’arrière et j’en profite pour descendre mes pantalons de quelques pouces à ma taille. On est en business.
Les mains dans les poches, je marche nonchalamment vers notre spot habituel, un boisé que Phil a découvert pas loin derrière chez lui. Je laisse traîner par terre les semelles de trois pouces d’épais de mes nouveaux souliers pour que les gars m’entendent arriver.
- Eillleeeeee le grooooooos.
- Comment ça va man ?
- Kespass big ?
Je ne réponds pas tout de suite et me laisse désirer encore un peu, les mains toujours dans les poches. Les boys ont l’air excité ce soir, comme si ça faisait changement. Un joint se promène déjà de mains en mains et juste à l’odeur, je sais que c’est le weed dégueulasse du père à Brian. C’est gratis, je serais ben niaiseux de chialer. By the way, Fred parle encore de sa Merco[2] parce qu’il veut changer les mags, mais il est à peine capable de payer les assurances. Il m’a appelé la semaine passée. Il était à la SAAQ, il devait payer ses plaques et il n’avait pas assez dans son compte. Je lui ai encore passé trois cents balles et je ne pense pas les revoir de sitôt. Son taff[3] de caissier dans un dép’ a probablement quelque chose à voir là-dedans. Au moins, j’ai des lifts gratis dans son char presque neuf, je ne peux pas me plaindre. Non, vraiment, je n’ai rien à me plaindre. Il y a juste Phil qui me tape sur les nerfs ces temps-ci avec ses idées. Depuis qu’il est « aux adultes », il se prend pour le gars le plus woke[4] de la gang.
- Mon cerveau va exploser à l’école les boys. La vie est ailleurs, man.
Honnêtement, je ne sais pas même pas s’il sait ce qu’il dit. Tant qu’il se comprend, moi ça ne me regarde pas. Dans son élan de liberté, il se lève du bloc de béton sur lequel il était assis, sors une cannette de peinture en spray et trace sur la surface le mot étranger qui lui brûle les lèvres.
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