Savonner Stonehenge // Soupe sanguinaire

Projeter le faux, raconter le vrai...



SOUPE SANGUINAIRE 





Le cœur me lève. Ma gorge se serre autour de ma luette à chaque spasme de pharynx. J'ai l'impression que mes amygdales cherchent à remonter jusque dans mon nez.  


Quelques heures plus tôt, j'ai assisté à la mort violente d'un poulet, sous le joug de notre hôte, qui prépare à souperJe me trouve en plein cœur de la jungle bolivienne. J’y réside temporairement en tant que stagiaire en solidarité internationale pour la fin de mes études collégiales. Et ici, il n'y a pas de doute à avoir quant à la fraîcheur de la viande. Encore maintenant, une poule gravite autour de la cabane. Elle vient toute juste de passer nonchalamment dans le sang de sa copine, liquide visqueux qui n’est pas encore tout à fait imprégné dans le sable près de la cuisine. Elle laisse des traces rouges en forme de petits tridents dans son sillageMa collègue et moi nous nous regardons à chaque nouveau cercle qu'elle complète autour de nous, sachant toutes deux trop bien ce qui sera au menu pour souper.  


Les six heures sonnent, la jungle est déjà noire, le soleil se couchant ici toujours comme si quelqu'un fermait l'interrupteur sans avertir d’abord. Notre hôte apparaît, deux bols fumants en main, à peine éclairé par une lampe à la citronnelle qui brûle dans un coin. Il fait chaud, nous sommes moites, affamées, épuisées par le travail dans les plantations de la journée. Il dépose devant nous une soupe qui sent bon la coriandre et qui laisse une petite place en finale à l'effluve acidulée de la lime. Du bouillon dépasse un pilon de poulet et en agitant le mélange, nous trouvons du riz, des cubes de yucca dorés et quelques poivrons plus épicés. Nos regards passant du pilon de nos assiettes au sable qu'on sait taché de sang, dans la pénombre, nous remercions d'un accord silencieux la poule décimée pour son don de soi. Nous rangeons loin dans nos pensées cette idée et entamons d'un appétit peu contrôlable notre repas. Je gruge la viande autour de l'os sans plus de cérémonie, dans une sauvagerie peu enviable.  


Le cœur me lève. Ma gorge se serre autour de ma luette à chaque spasme de pharynx. J'ai l'impression que mes amygdales cherchent à remonter jusque dans mon nez. 


Après l'une de mes trop grosses bouchées, je sens un petit quelque chose qui reste figé entre mes dents. J'ouvre la bouche, tire la langue et y recueille du bout des doigts, une belle plume noire qui a, sans aucun doute, échappé au dépouillement de notre amie sacrifiée. 


Les yeux de ma collègue et les miens s'arrondissent et nous aimerions que le repas se termine ainsi, mais notre hôte est là etavec son grand sourire, veut nous resservir.  



SAVONNER STONEHENGE





Je me trouve dans un hostel où déambulent étudiants, back packers, gens granos et stagiaires en quête d’immersion anglaise. Le porridge est affreux, mais ça fait quelques jours qu’on mange des sandwichs beurrés dans lesquels y’a deux choses: une seule tranche de jambon et une rondelle de tomate, ça fait que, le porridge, il fait la job. Mon amie me dit que le truc, c’est de mettre un cup de confiture de fraises dedans. Elle me dit ça, en échappant son plat visqueux sur mes pieds. Il se fracasse en un éclat dur à manquer. Tout le monde a pitié de mes pauvres souliers.  


À quinze minutes de notre départ pour Stonehenge, on est donc enfermé dans une minuscule toilette, à frotter mes choux-claques avec du savon à vaisselle et un coin de serviette. Quinze minutes plus tard, dans le bus, j’ai les pieds trempes sur le devant, mais on se dit que c’est mieux que bien gluants. On chante des chansons à répondre, on tape des mains, on est une gang d’enfants trop grands pour que ça soit crédible, mais on est bien.  


Arrivée aux fameuses roches dans le milieu de nulle part, je suis fascinée. Il se met abruptement à mouiller. On revêt nos ponchos jaunes canaris. L’air sent un peu le renfermé, mais bon, je suis encore fascinée! On marche en cercle autour des pierres et on admire. Des roches, des roches, encore des roches, des bulles, des rochesDes bulles? De la mousse flotte en mottes bien réparties sur notre chemin, le vent a une odeur de dégraissant Dawn et les yeux de mon entourage se posent sur mes pieds pour la deuxième fois de la matinée. Deux tas de bulles blanches effervescentes me font office de chaussures et les touristes tout autour ont des rires difficilement étouffés. Mes pieds frappent le sol et je me fais machine à bulles à chaque fois.  


Alors, on en rit et on danse? Pourquoi pas! 

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