Gérald,
Je tente en vain de m’exercer à t’écrire, à décrire
l’impuissance, le malaise gangrénant que tu as pu ressentir; un amas de
questions mitraillettes et le froid d’une inanité absurde. Toi qui étais un
homme droit, un homme de justice, un syndicaliste, un militant. Un homme qui ne
s’était jamais réduit à la violence. Toi, on t’arrêtait.
Dans ta maison, au petit matin.
Dans ta maison, sans mandat.
Dans ta maison,
dans un pays
libre.
Après ton arrestation et celle des 496 autres
personnes, les gros titres des journaux se faisaient aller la gueule dans
toutes les directions. À votre libération, vous avez eu droit à un tonnerre
d’anonymat. Des écrivain.es, des professeur.es, des travailleur.euses
social.es. Des gens dont le seul crime tenait à un penchant
socialiste-indépendantiste plus ou moins assumé, et dans ton cas en particulier, à ton rôle
d’éditeur et d’écrivain.
Votre injustice était vôtre à porter, vôtre seule.
Tu as brisé ce silence.
Un silence pesant, inquiétant; un silence de peur
qui se cachait derrière l’indifférence de façade. J’ai lu ton Journal d’un prisonnier de guerre, sorti
quelques jours seulement après ta libération. Tu y effectues un travail
journalistique exemplaire; tu ne diabolises rien, tu relates. Tu ne pleures pas
dans tes mains, tu dénonces. Tu informes et insistes sur ce qu’on tente de
balayer sous le tapis.
La prison ne t’a pas coupé la langue; tu ne l’avais jamais
eu dans ta poche, ni avant, ni après. Tu t’étais même lancé en politique; à tes
premières élections en tant que député, tu battais Robert Bourassa dans son
propre comté, lui que tu considérais comme le pantin de Trudeau. Le fils et le
père des mesures de guerre.
Les pires erreurs prennent souvent apparence de
sécurité.
On ne doit pas se croire à l’abri d’un « régime
casqué ».
Tu as compris que pour accéder à la pleine liberté,
ou elefthería (ελευθερία), comme tu
te plaisais à le dire en grec, le Québec se devait l’indépendance. Tu seras
reconnu comme un indépendantiste pro-immigration. À l’occasion, je repasse l’une
de tes entrevues à Radio-Canada, celle dans laquelle tu t’opposais fermement à
la fermeture des frontières:
« Une personne qui change de pays, a déjà en
elle une quantité de dynamisme et d’énergie qui est exceptionnels, et que par
conséquent, on devrait le moins possible restreindre la mobilité des personnes ».
Ça résonne en moi à chaque fois.
Sans marcher dans tes pas, je me réclame de toi.
Dans ton poème Mains
d’horizon, tu disais « après que je serai mort/ aie une pensée pour moi/
j’aurais aimé être ici ». L’ici
étant notre Pays. Et bien Gérald, j’ai une pensée pour toi: tu es tatoué sur
mon bras, alors lorsque j’atteindrai l’ici
dont tu parlais, tu y seras avec moi.
En regardant mon bras
je dirai
elefthería.
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