Serrer du sable tellement fort dans mes mains qu’il s’enfuit. Il s’écoule entre mes doigts et au travers de toutes les fentes que mes poings fermés arrivent à former. Le sable continue de couler sans cesse, infini dans mes paumes, j’essaie de l’attraper. Il n’y a aucun sable par terre, pourtant c’est là qu’il tombe. Je suis dans « ma » cour arrière, celle du nouvel appartement dans lequel je réside depuis juillet dernier, sous les grands frênes. Il n’y a que des vieilles dalles de béton, érodées par le temps. Elles sont le sable qui fuit de mes mains, qui se cimente dès qu’il touche au sol. Je tombe. Tout tombe. L’entièreté du moment présent tombe.
Je suis dans un champ infini, plat et recouvert d’une pelouse parfaite comme dans les annonces de gazon, un vert brillant et inquiétant. Il n’y a rien, aucune dénivelée, aucun défaut. Il n’y a rien, il fait soleil, mais le soleil n’est pas là, le ciel est d’un bleu uniforme partout où je regarde, la lumière vient de nulle part. On dirait les prairies en Saskatchewan. J’entends les oiseaux qui chantent, mais il n’y en a pas, le son qui en sort ne peut appartenir à ici, il n’y a aucun écho dans leurs mélodies, comme s’ils chantaient dans un studio insonorisé. Le son de mes pieds et mes mains qui flattent le gazon est amplifié, comme s’il y avait un micro dans ma paume qui transmettais le son directement à mes oreilles, un autre intrus à cet endroit où il n’y a rien. Toute tombe, tout. Je tombe aussi, le décor tombe en chute libre.
Encore dans « ma » cour. Assis sur la chaise en métal, à la même place que d’habitude. Tenir le sable. Serrer trop fort. Appartenir à nulle part.
Je suis sur la Playa del amor à Màncora, au Pérou. Au fond de la bande de sable, c’est une reproduction exacte du matin où j’y étais avec Ruben et Lotta, il ventait beaucoup ce fois-là. Ils ne sont pas là. Il n’y a aucun humain. L’océan pacifique est en pause. Les vagues sont arrêtées en plein mouvement, figées en place. Je ne les entends pas. Il manque le son des vagues. Tout est à sa place, comme quand j’y étais, j’y suis, mais tout me semble faux. Le vent est là, par contre il souffle trop fort, il me fait peur. Mes pieds ne laissent pas d’empreintes sur le sable et je suis incapable de le ramasser, il est figé aussi. Je suis en maillot de bain, tout est faux. La Playa del amor n’a peut-être jamais existé.
De nouveau dans « ma » cour. Du sable qui s’enfuit de mes poings serrés, le résultat de l’érosion des souvenirs et phantasmes, broyés, trop fins pour être gardés. Le sable a tout gâché.
Je t’haïs maudit sable, j’peux rien avoir à cause de toi.
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