Ma belle-mère a crissé mon père là, une semaine avant Noël. Elle a aussi volé ma partenaire de mauvais coup, ma meilleure amie, ma petite sœur. J’exagère, à vrai dire, je l'ai toujours trouvée un peu gossante, mais grâce à elle, j’arrivais à passer au travers des longs réveillons dans la famille à mon père.
Je suis la plus âgée des enfants de la famille. Entre ma naissance et
celle de mes nombreux frères et sœurs, cousins et cousines, il y a eu plus de dix
ans. Mon intérêt envers eux est proportionnel à la différence d’âge qui nous
sépare. Donc me voilà, juste assez blasée, assise au milieu de la longue tablée
du réveillon ; à mi-chemin, entre-les adultes qui parlent de hockey et les p’tits
morveux qui se challenge d'ambitieux t’es pas game. J’en veux à mon ex-belle-mère et à ma
moins-d’un-quart de sœur de m’avoir abandonnée sans explication devant une
assiette que j’ose à peine toucher.
Je
déteste Noël. Les œufs farcis de ma tante Lyne, les pains fourrés au jambon haché
de mononc’ Serge, la trempette étagée de Martin, les concombres dans le
vinaigre de mamie Corine et sa salade césar, assaisonnée d’une quantité exagérée
d’ail, puis la bûche maison de Marie-Josée. SURTOUT la bûche maison de
Marie-Josée. Est pas mangeable. T’es quand même mieux de t’en servir un morceau
pour aller la recracher discrètement après sinon tu vas l’avoir sur le dos
toute la veillée. Elle est convaincue que sa recette révolutionnera les
prochaines générations des Gagnon.
Je
me sens prise en sandwich dans la marmelade des fêtes : une gousse d’amertume
dans un grand cul de poule, une cuillère à table de je me pèse juste une
fois de plus, pour être sûr que je n’ai pas pris une livre, une demie-tasse
de culpabilité pour tous ces humains – ceux qui s’affament pendant qu’on se met
une cinquième assiette de nouilles chinoises dans le ventre –, le tout servi sur
une planche de bois d'érable avec une pincée de surconsommation en paillette.
Dans
le temps, avec mon ex-belle-mère, on avait du fun. On finissait ivres, les
quatre à se tenir afin d’éviter de tomber dans le sapin lors de la photo pour
le calendrier du Nouvel An. Celui imprimé par mon oncle et sa-petite-famille-parfaite-non-reconstituée.
J’ai encore l’image de ma tante Marie-Josée, complètement scandalisée, donnant
un coup de coude à son mari. Serge! T’es as-tu vus! Ça pas de bon sang!
J’étais si fière de faire partie de la famille gênante, même si notre photo se
retrouvait rarement dans le montage du 1er janvier.
Ce
Noël-ci, mon père et moi sommes saouls, mais chacun de notre bord de la table. Puis
je vais dormir seule sur le divan-lit du sous-sol, sous la tête empaillée de l’orignal
saigné par mon grand-père.
Ce Noël-ci, je fais un pacte avec l’animal. Au matin du 25 décembre, lorsque tous se resserviraient du bacon, du jambon, des fèves aux lards, de la tourtière, des œufs de Marie-Josée, certifiés poules-heureuses-en-liberté-vue-sur-la-rivière-Chaudière, lorsque que je me demanderais s’ils ont réellement encore faim, j'annoncerais mon végétalisme.
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