Yeux sombres



 Je suis ici depuis une heure, il n’est pas là, il ne viendra pas. Je regarde mon téléphone, pas de message. Mon impatiente commence à gagner du terrain. Je dois me calmer, respirer. Mes doigts se crispent, je ne tiens plus en place. Mes jambes tremblent, je dois bougerJe n’arrive pas à respirer. L'odeur des inconnus me fait mal aux poumons. La vibration des sons de la gare me frappe les tympans. J’ai besoin d’une cigarette. 

Mes pieds martèlent le sol jusqu’à la porte de sortie. Je fixe le sol rouge de la gare, pour ne pas rencontrer les yeux des autres. J’arrive enfin dehors. L’air frigorifiant du début d’hiver détend mon corps raide comme une planche. La première bouffée de Malboro relaxe le reste de mon corps 

Sur un banc, face à moi, une jeune femme, début vingtaine, peint l’air sévère. Ses yeux obscurs scrutent chaque partie d’un érablier, avec son amas de feuilles au sol. Un coup de vent passe et ses longs cheveux noirs lui cachent la moitié du visage. Elle ne réagit pas, elle continue à peindre, l’air grave.  

Un homme passe en arrière et lui relève ses cheveux d’ébaine d’une douceur extrême, pour les placer sur son dos. Elle sourit. Quel sourire! Cette femme est belle. Son petit ami se place juste à côté d’elle et sort de sa poche une barre de chocolat à moitié commencée. Elle éclate de rire, son visage s’illumine, ses yeux s’éclairent. Elle ne ressemble plus à cette jeune femme sévère, et inatteignable, mais une jeune fille qui vit et respire la joie. Elle prend enfin une part de la tablette et en mange la moitié. Délicatement de ses dents couronnées d’un appareil dentaire. Ça doit être son chocolat favori, car elle prend plaisir à savourer sa part, le temps que je finisse ma deuxième cigarette.  

Elle se tourne vers sa peinture, et retrouve son air sérieux. Son tableau ne lui plait pas, il le voit, je le vois. Elle range ses pinceaux dans un sac, qui a vécu une grande partie de son parcours écolier, et se lève enfin.  

Elle est grande, très grande. Avec ses bottes à talon, son homme effleure de sa tête son épaule. J'en suis intimidée, je me sens fourmi avec mon mètre et 53 cm. Ses longues jambes se marient parfaitement avec sa paire de leggings grises, et son pull rouge foncé s’englobe dans ce décor de fin octobre.  

Il prend son tableau et attrape sa grande menotte pour la déposer sur son bras. Ils sont partis. Un pincement au cœur me vient. Une vibration me ramène à la réalité, je regarde: 

Nouveau message de Christophe: Salut chérie, c’est papa. Je m’excuse du retard, je suis à l’intérieur avec ton chocolat chaud préféré de Starbuck. Je t’attends, bisous xx 

Je souris. 

 

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