Dawit,
Que sont les mots lorsqu’on a passé les seize dernières années à l’isolement, en silence, dans une cellule sombre et inhospitalière ? Que signifient les mots d’une inconnue lorsque les seuls qu’on souhaite entendre sont ceux de notre femme et de nos enfants ?
Vous étiez – et êtes toujours – un journaliste. Vous savez mieux que quiconque ce que peut être l’écriture : Vérité et liberté. Aujourd’hui, vous ne croyez plus en rien et les mots ne sont plus que des marques éparses sur une page. Vous n’avez même pas la force de faire des traits sur le mur, de peur de manquer d’espace à force de compter les nuits. Avec le temps, ces lignes pourraient ne rien vouloir dire. Comme tout le reste.
Vivre, lire, écrire. Le mantra d’un écrivain, d’un poète, d’un journaliste. Plus facile à dire qu’à faire de l’intérieur d’une cellule en isolement, me direz-vous.
J’arrive tout de même à imaginer votre visage aux sourcils froncés de concentration au milieu du voile fuyant de la fumée de votre cigare. Penché sur votre machine à écrire, la tête dans les affaires locales, vous ne vous doutez pas que ce sera la dernière fois avant plus de cinq-mille-huit-cent-quarante jours. Aujourd’hui, vous méditez. Vous avez arrêté de réfléchir après plusieurs années ; ça ne sert à rien à part vous mettre en colère. Le cœur qui sert à cause de l’injustice, du silence et du manque. La tête qui tourne parce que la seule voix que vous entendez, c’est la vôtre.
Vous vous inventez des histoires, à haute voix. Vous imaginez ce que vous direz à votre femme, vos jumeaux, votre fille. Après un ou deux ans, vous avez trouvé les mots justes. Après sept, ils commençaient à vous échapper. À seize…
Les mots ne sont rien sans ceux qui les utilisent. Ils sont tout pour ceux qui savent le faire.
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