Du puits au sanctuaire

« La poésie, ce sont les moments intimes où tu retournes dans ton âme. » Joséphine Bacon Québec, le 9 novembre 2020 Cher poète Ilhan Çomak, Je viens de relire votre lettre du mois de janvier 2020, écrite de la prison Siliri, à Istanbul, « ce puits aveugle où l’on vous a plongé sans échelle pour en remonter. » Je suis indignée par le temps injustement passé dans cette noirceur : le temps de vie de mon fils. Et je suis renversée par la lumière et la paix que vous avez néanmoins réussi à extraire de cet antre obscur. Une autre obscurité a éclairé votre âme : celle de ces nuits d’enfance où vous vous trouviez rassemblés toute la famille, à la lueur d’une lampe à gaz, à écouter les contes que vous lisaient les adultes. Ces histoires d’effroi avaient le pouvoir d’incendier votre imaginaire. Et déjà elles vous permettaient de faire la part entre le bien et le mal. C’est à cette vitalité de votre imaginaire, stimulée durant l’enfance, que vous attribuez votre force et votre substance. Elle est devenue le terreau que vous n’avez cessé de retourner, de nourrir et d’enjoliver avec la vie. Cette force que vous puisez dans vos souvenirs me rappelle ce qu’évoquait le psychiatre allemand Viktor Frankl, interné à Auschwitz. Il estimait en effet que les personnes les plus susceptibles de s’en tirer étaient celles dont la mémoire pouvait s’abreuver à des souvenirs heureux de l’enfance. Je suis touchée quand je lis que vous avez trouvé refuge dans la poésie, devenue votre sanctuaire. Vous dites que la poésie vous permet de restituer la vie qui vous a été volée. En écrivant, vous êtes à la recherche du bonheur et de la satisfaction qu’on vous a usurpés. Vous avez la nostalgie de l’enfant émerveillé que vous étiez et c’est pour lui que vous écrivez. Et pour nous rejoindre nous aussi. Vous nous invitez à partager vos strophes par amour pour le petit enfant qui avait foi dans les histoires qu’on lui racontait. Je vous entends et j’ose ouvrager le barreau d’une échelle lancée dans votre puits, en guise de reliance avec vous. Je me hasarde donc à traduire en français quelques vers de votre 8e recueil intitulé « I’ve come to you » pour leur offrir résonnance. Mais avant je tiens à vous exprimer toute ma gratitude envers les images de beauté dont vous nous faites don. Vous êtes en cage, mais avez la portée des horizons et la grâce d’envol des oiseaux qui vous sont si chers. Je souhaite de tout cœur que les barreaux s’ouvrent le plus vite possible, afin que viviez de nouveau votre poésie en prise directe avec celle du monde que vous avez tant chéri. Je suis ami avec la mémoire de la lumière, le noyau de l’abricot La solidité de la roche Inscrivant mon livre dans la volonté des vagues L’immobilité tranquille de la mer Mon esprit déborde de questions et de l’insistance des oiseaux migrateurs Je me répète à moi-même La vie consiste à regarder un papillon se poser, puis s’envoler.

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